Les Bandits
transport des voyageurs, cela en
période préindustrielle, où les voyages sont lents et difficiles. La
construction de routes modernes sur lesquelles la vitesse est accrue suffit
souvent à restreindre sensiblement le banditisme. En revanche, une
administration inefficace et compliquée sert parfaitement ses intérêts. Ce n’est
pas un hasard si, au XIX e siècle, l’Empire des
Habsbourg a résolu le problème du banditisme avec plus de succès que l’Empire
turc, qui, lui, était chancelant et en fait décentralisé. Ce n’est pas un
hasard non plus si les régions frontières – et, davantage encore, les régions
aux frontières multiples comme le centre de l’Allemagne ou ces parties de l’Inde
où les zones d’influence britannique voisinaient avec de nombreux États
gouvernés par des princes – ont connu des difficultés perpétuelles. Quand les
autorités locales sont des autochtones et que le contexte local est complexe, le
brigand est dans une position idéale, car, en quelques kilomètres, il échappe
au contrôle et même à la connaissance des autorités chargées d’un territoire
pour en gagner un autre, dont les autorités se soucient fort peu de ce qui se
passe « à l’étranger » [30] .
Les historiens ont établi des listes de régions particulièrement associées au
banditisme, par exemple pour la Russie.
Pour évidents qu’ils soient, ces facteurs ne rendent pas
entièrement compte des nettes disparités régionales que l’on rencontre
fréquemment lorsqu’il s’agit de banditisme, et qui conduisirent par exemple la
Chine impériale à établir dans son code pénal une différence entre les « régions
à brigands » (comme les provinces du Sichuan, du Hunan, d’Anhui, du Hubei,
du Shanxi, ainsi que certaines parties du Jiangsu et du Shantung) et les autres [31] . Dans les
départements péruviens de Tacna et Moquega, où les conditions étaient
favorables au banditisme, il était inexistant. Pourquoi ? C’est que, selon
un historien qui a étudié ce sujet, « il n’y a ici ni propriétaires
terriens, ni entreprises de camionnage, ni bureaux de main-d’œuvre, ni
contremaîtres, et que les sources d’approvisionnement en eau n’appartiennent à
personne de façon absolue et irrévocable [32] ».
C’est que, en d’autres termes, le mécontentement paysan y était moins vif. En
revanche, au nord de Java, une région comme le Bantam était au XIX e siècle un centre de banditisme permanent, mais c’était
aussi un centre de rébellion permanente. Il n’y a qu’une étude régionale
soigneusement menée qui puisse expliquer pourquoi le banditisme était, à l’intérieur
du même pays ou de la même région, endémique dans certains coins et restreint
dans d’autres.
De la même manière, seule une étude historique approfondie
peut rendre compte de toutes ses variations « diachroniques ». On
peut néanmoins, sans risque de se tromper, émettre les généralisations
suivantes :
Le banditisme a tendance à devenir épidémique aux moments de
paupérisation et de crise économique. Le développement frappant du brigandage
dans les pays méditerranéens à la fin du XVI e siècle,
développement sur lequel Fernand Braudel a attiré l’attention des historiens, reflète
le déclin non moins frappant de la condition paysanne à cette époque. Les
Aheriya d’Uttar Pradesh (Inde), qui avaient toujours été une tribu de chasseurs
et de voleurs, « ne furent jamais des bandits de grand chemin avant la
grande famine de 1833 [33] ».
De même, à cette différence près que le rythme est ici plus rapide, le
banditisme dans les monts de Sardaigne au cours des années 1960 atteignait tous
les ans son point culminant au moment où les bergers devaient payer leurs
redevances annuelles. Ces observations font à ce point figure de platitudes qu’il
est à peine nécessaire de les formuler. Il est plus intéressant pour l’historien
d’établir une distinction entre les crises qui représentent ou non des
changements historiques importants, même si les paysans qui sont directement
concernés ne perçoivent cette distinction que lentement et rétrospectivement, si
jamais ils la perçoivent.
Toutes les sociétés rurales du passé étaient habituées à des
disettes périodiques – dues à de mauvaises récoltes ou à d’autres crises
naturelles – ainsi qu’à des catastrophes occasionnelles, que les villageois ne
pouvaient prévoir, mais qui pouvaient
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