Les Bandits
fournissent des combattants à condition que leur statut
d’hommes libres soit reconnu. C’est ainsi qu’à la suite d’une évolution
naturelle, le terme de
haïdouc
,
qui décrit l’homme libre et le brigand libérateur par excellence, a pu désigner
aussi l’un des nombreux types de valets de la noblesse allemande. Mais, la
plupart du temps, par exemple en Russie et en Hongrie, ils acceptaient des
terres de l’empereur, du tsar ou d’un autre prince et s’engageaient, en
contrepartie, à demeurer des cavaliers armés et à combattre les Turcs avec des
chefs de leur propre choix, devenant ainsi une espèce de chevalerie sortie du
rang et chargée de garder la frontière. Mais, avant tout, ils étaient libres – en
cela supérieurs aux serfs, qu’ils méprisaient, attirant pour la même raison les
éléments rebelles et fugitifs – et leur loyauté était loin d’être
inconditionnelle. Les grandes révoltes paysannes du XVII e et du XVIII e siècle en Russie commencèrent toutes à
la frontière cosaque.
Il y avait enfin un troisième type de
haïdoucs
, qui refusaient de s’attacher
à un noble ou un puissant, ne serait-ce que parce que, dans les zones où ils
opéraient, la plupart des nobles et des puissants étaient des Turcs infidèles. Ne
dépendant ni d’un roi ni d’un seigneur, ces
haïdoucs
étaient brigands de profession. Quant à leur rôle social, il se définissait par
leur hostilité aux Turcs et leur caractère de vengeurs du peuple : ils
représentent des mouvements de guérilla primitifs, mouvements de résistance et
de libération. Ils apparaissent sous cette forme au XV e siècle, d’abord peut-être en Bosnie Herzégovine, mais par la suite partout dans
les Balkans et en Hongrie, notamment aussi en Bulgarie, où il est question d’un
chef
haidot
dès 1454. Ce sont
eux dont j’ai choisi le nom pour caractériser la forme la plus achevée du
banditisme primitif, qui n’a jamais été si près de constituer le centre
permanent et conscient de l’insurrection paysanne. Ce type de
haïdouc
existait non seulement dans le
sud-est de l’Europe, mais aussi, sous des noms différents, en d’autres parties
du globe, par exemple en Indonésie, et notamment aussi dans la Chine impériale.
Évidemment, il était surtout répandu chez les peuples opprimés par des
conquérants parlant une autre langue et de religion différente, mais sans que
ce soit toujours le cas.
Ce n’était pas généralement par idéologie ou par conscience
de classe que des hommes devenaient des
haïdoucs
,
et même le genre d’ennuis qui transformait un individu en hors-la-loi n’était
pas particulièrement fréquent. Par exemple le chef de
haidoucs
bulgare, Panayot Hitov (qui
nous a laissé une si précieuse autobiographie) gagna les montagnes à l’âge de
vingt-cinq ans, dans les années 1850, à la suite d’un combat avec un
fonctionnaire turc de la justice pour une obscure question de droit. Cependant,
si l’on en croit les innombrables chansons et ballades de
haïdoucs
, qui sont l’une de nos
principales sources pour l’étude de ce type de banditisme, on se faisait en
général
haïdouc
pour des
raisons strictement économiques. L’hiver, dit l’une de ces chansons, avait été
mauvais, l’été torride, les moutons étaient morts, et c’est ainsi que Stoian
devint un
haïdouc
:
« Tous ceux qui veulent devenir des haïdoucs libres
Qu’ils viennent ici me rejoindre.
Vingt jeunes gens se rassemblèrent.
À nous tous, nous ne possédions rien,
Nous n’avions pas d’épées tranchantes
Nous n’avions que des bâtons [90] . »
Inversement, Tatuncho le
haïdouc
s’en retourna à la ferme familiale, cédant aux injonctions de sa mère qui lui
disait qu’un voleur était incapable de nourrir sa famille. Mais le sultan
chargea ses soldats de le capturer. Il les tua tous et rentra avec l’argent qui
se trouvait dans leurs ceintures. « Voilà l’argent, mère, qui viendra dire
maintenant qu’un bandit ne peut pas nourrir sa mère ? » Et de fait, avec
un peu de chance, le brigandage était une affaire plus rentable que la culture
de la terre.
Dans ces circonstances, le vrai bandit social était rare. Panayot
Hitov, qui, avec complaisance, examine les uns après les autres les membres les
plus réputés de la profession dont il était une des gloires, en cite un exemple :
un certain Doncho Vatach, qui opérait dans les années 1840, ne persécutait que
les méchants Turcs,
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