Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
pour révéler le chiffrement des autres lettres. Le principe clé de cette machine était qu’une lettre (mettons « W ») ne pouvait être chiffrée sous sa forme réelle (c’est-à-dire en « W »). Autrement dit, quel que soit le nombre de fois où vous tapiez « W », cette lettre ne serait jamais chiffrée en « W ». Mais cela ne facilitait pas pour autant le dévoilement du principe de chiffrement car il restait encore des millions de combinaisons.
En 1936, lorsqu’à Whitehall il devint de plus en plus évident qu’on ne pourrait empêcher l’agression d’Hitler, la GC&CS redoubla d’efforts sur Enigma. En 1937, au moment de la guerre civile espagnole, Dilly Knox parvint à « casser » la première version non modifiée de la machine, utilisée par l’Italie. Il recourut à une règle de calcul minutieuse pour représenter le câblage et la position des rotors de la machine, représentation illustrant le déplacement des lettres chiffrées.
Les Britanniques n’étaient pas les seuls à se pencher sur la question. Ainsi, en 1932, plusieurs mathématiciens polonais surdoués étaient parvenus à craquer une première version militaire de la machine Enigma, légèrement moins élaborée.
Le triomphe des Polonais ne fut plus que de l’histoire ancienne lorsque l’armée de terre allemande, en voie de renforcement et désireuse de perfectionner sa sécurité, fit passer de trois à cinq le nombre de rotors de la machine. Cette mesure eut pour effet de décupler le nombre de combinaisons potentielles de chiffrement. Ce revers fut cependant partiellement atténué grâce aux travaux d’un valeureux mathématicien français, le major (qui allait devenir colonel) Gustave Bertrand, qui travaillait de concert avec les mathématiciens polonais.
Au début des années 1930, Gustave Bertrand avait surveillé de près la conception et les utilisations de la machine Enigma par les Allemands. Quelques années auparavant, il était entré en contact avec un espion allemand (ou traître, comme l’auraient qualifié les Allemands) du nom d’Hans Thilo Schmidt. Ce dernier fournit alors à Bertrand des documents essentiels sur Enigma, qu’il s’était procurés au ministère de la Guerre allemand, là où il travaillait.
Ce ne fut pas le succès de Bertrand. « Lorsque les Allemands ont amélioré le tableau de connexions d’Enigma, dit Keith Batey, ces idiots ont sorti un manuel qui disait en clair comment paramétrer la machine. Les Allemands s’en sont rendu compte et ont immédiatement rapatrié les manuels, mais le major en a gardé un exemplaire qui offrait aux Polonais le point de départ dont ils avaient besoin. »
Les Polonais ont conçu deux méthodes de déchiffrement. L’une d’elles était manuelle et utilisait des « fiches Zygalski », du nom de leur inventeur, le mathématicien Henryk Zygalski. Il s’agissait de vingt-six fiches cartonnées, une par séquence d’insertion des rotors de la machine. Sur les fiches figuraient des grilles pré-imprimées comprenant (en 26 x 26) les lettres de l’alphabet sur les bords avec des trous au niveau des cases selon certaines combinaisons. Était appliqué le principe des « femelles », à savoir les positions des lettres répétées dans un message chiffré. Les fiches étaient empilées au-dessus d’une surface éclairée, puis déplacées et disposées selon des séquences minutieusement calculées jusqu’à ce que le nombre de lumières passant par les trous ne soit réduit qu’à une seule case. On obtenait alors le paramétrage des rotors de l’Enigma. Cette méthode était très lourde et prenait énormément de temps, mais elle fonctionna jusqu’à ce que les Allemands procèdent à des modifications. John Jeffreys devait par la suite développer ce principe à Bletchley.
À l’été 1939, lorsque l’invasion de la Pologne devint quasiment inévitable, ces experts de l’Enigma, ainsi qu’un petit groupe de Français dirigés par Bertrand, décidèrent de partager les fruits de leurs recherches avec les Britanniques, dans l’espoir qu’ils puissent leur donner un coup de main. Inversement, les Polonais disposaient d’informations dont les Britanniques avaient sérieusement besoin. Le 24 juillet 1939, les cryptographes britanniques et français allèrent rencontrer leurs homologues polonais dans la forêt de Kabackie, près de Pyr, à quelques kilomètres au sud de Varsovie. Parmi les Britanniques figuraient
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