Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

d’autre.
    Ce flou structurel, associé à la nature du personnel recruté par Bletchley Park, laissa Whitehall un peu perplexe au début. L’historien et ancien de la maison Harry Hinsley écrit ceci sur l’organisation du Park :
     
    [Cela] demeurait une collection hétérogène de groupes et non une seule organisation bien structurée… Professeurs, maîtres de conférence et étudiants, maîtres des échecs et experts de grands musées, avocats et libraires spécialisés dans les livres anciens, certains d’entre eux en uniforme et d’autres en civil appartenant au ministère des Affaires étrangères ou à d’autres ministères, ces personnes ont pour la plupart ouvert et dirigé les différentes cellules qui ont fleuri au sein ou en marge des sections originales.
     
    Par leur variété et individualité, elles ont contribué à ce manque d’uniformité. Il ne fait également aucun doute que cette hétérogénéité leur a réussi car, à la GC&CS, la notion de hiérarchie n’était pas culturelle.
    Le seul parallèle avec la mobilisation était peut-être qu’à leur réception, personne ne contestait les convocations à Bletchley. Cependant, contrairement aux semaines de formation minu-tieuse au maniement des armes et aux manœuvres que l’on recevait au service militaire, Bletchley n’était qu’un grand bain dans lequel il fallait plonger. Les premiers cryptanalystes et linguistes étaient parachutés du jour au lendemain dans leur nouvelle vie après une instruction très sommaire. Il y a ceux qui se souviennent de cours rapides et intensifs suivis dans une école voisine et ceux selon lesquels cette formation accélérée n’existait même pas.
    « C’était très rapide, précise John Herivel, surtout pour ceux d’entre nous arrivés dans les débuts. On m’a montré l’Enigma, puis envoyé voir Alan Turing et Tony Kendrick. C’étaient mes professeurs, en quelque sorte. »
    Oliver Lawn, arrivé un peu plus tard, s’est senti très enthousiaste face aux défis qui l’attendaient : « C’étaient essentiellement des problèmes mathématiques et, en tant que mathématicien de formation, je passais ma vie à résoudre ce genre de problème. Là, c’était juste leur nature qui changeait. »
    Selon Mavis Batey, tout le processus était plus aléatoire que ça. Elle se souvient, amusée, d’un étonnant manque de pédagogie lorsqu’elle a débarqué au Cottage sous les ordres de Dilly Knox :
     
    On nous a mis tout de suite dans le grand bain. Personne ne savait comment fonctionnaient les choses. Quand je suis arrivée, on m’a dit : « Nous craquons des machines, vous avez un crayon ? »
    Et c’était tout. Vous n’aviez aucune autre explication. Je n’ai jamais vu une machine Enigma. Dilly Knox était capable de réduire cela, je ne dirais pas à un jeu, mais à une sorte de puzzle linguistique. Cela revenait à conduire une voiture sans avoir la moindre idée de ce qui se passe sous le capot. 
     
    Le mathématicien Keith Batey repense à son initiation à ce nouvel univers ésotérique Enigma :
     
    Je suis arrivé avec deux autres gars eux aussi étudiants en maths de Cambridge. On nous a accueillis au bureau d’enregistrement, puis on a eu immédiatement un cours accéléré sur le système radio allemand. Je n’étais pas très attentif car je lorgnais surtout ces jeunes filles nubiles qui erraient dans le Park.
    Toujours est-il qu’après vingt minutes de cours, qui ne nous ont absolument rien appris, poursuit M. Batey, on nous a emmenés voir Hugh Alexander, un maître d’échecs. Il nous a installés devant ce qui allait plus tard se révéler être une Enigma démontée, puis nous a parlé de la machine. Elle n’avait pas de batterie, elle n’était pas en état de marche. Puis, on nous a juste dit de nous mettre au travail. C’était ça la formation en cryptographie. 
     
    Bletchley Park était une institution organique. Peut-être qu’en raison de la nature expérimentale du travail, avec tant de cerveaux s’attaquant aux problèmes de codes de manières si différentes, il n’y avait pas besoin de la doter d’une structure trop rigide. Néanmoins, contrairement à la hiérarchie militaire stricte, il semblait régner ici une curieuse autodiscipline.
    Pendant ce temps, les problèmes administratifs d’Alistair Denniston ne faisaient que s’amplifier concernant l’hébergement de tout le personnel. Il fallut réquisitionner une école