Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
rien à côté des problèmes à venir. »
Les Polonais présentèrent également aux Britanniques un exemplaire de la machine Enigma qu’ils avaient construite eux-mêmes. « Dilly a toujours dit que nous devions beaucoup aux Polonais », souligne Mavis Batey, bien qu’elle tienne particulièrement à préciser qu’il faut également louer comme il se doit le travail du colonel Bertrand. « Bertrand a vraiment beaucoup apporté [acquisition des informations de chiffrement utilisées par les Allemands]. Jusqu’à l’effondrement de la France, Bertrand disposait de son propre bureau du chiffre à Paris et nous recevions tout le trafic radio et la correspondance. Nous partagions toutes les solutions trouvées. »
De son côté, Alan Turing avait été bien occupé par ses propres recherches. En décembre 1939, indépendamment de Knox et de ses nouveaux amis polonais, il parvint à déchiffrer le contenu de cinq jours de documents Enigma. S’il s’agissait d’une avancée extrêmement encourageante en soi, les messages sur lesquels Turing avait travaillé étaient anciens, puisqu’ils dataient d’avant la guerre. Ni lui ni aucun autre cryptanalyste n’avaient encore réussi à s’immiscer dans les communications allemandes « fraîches ».
En ces premiers mois et semaines trompeusement paisibles de la drôle de guerre, l’élaboration de théories et les expérimentations avaient encore leur place. « Certains jours, c’était vraiment le calme plat », dit John Herivel à propos de sa charge de travail à l’époque. « Les interceptions ne se bousculaient pas au portillon. » Mais, à mesure que la situation s’assombrissait, même avec tous les indices et le concours des Polonais, les cryptanalystes savaient que cela deviendrait de moins en moins une partie de plaisir.
Ce n’était pas seulement le défi mentalement épuisant posé par la réception, jour après jour, de ces groupes de lettres apparemment sans rapport entre elles, ni la recherche, sous tous les angles, d’une formule logique qui pourrait mettre un peu d’ordre dans cette pagaille et permettre de traduire ces messages en langage clair et intelligible. C’était aussi le simple fait d’être conscients qu’ils n’avaient pas le droit à l’échec.
Les Italiens apportèrent une petite contribution. On découvrit qu’ils employaient encore la première version commerciale de la machine Enigma, laquelle, malgré sa complexité ingénieuse, avait la réputation de pouvoir être craquée. Avec ses gars et ses filles, Dilly était très occupé au Cottage, cherchant des moyens de craquer à la main les codes italiens. À peu près au même moment, durant le premier Noël passé à Bletchley Park, aux côtés des canards battant des ailes dans les eaux glaciales du lac, Knox jetait également un œil aux plans des nouvelles « bombes » de Turing, dont le potentiel devait s’avérer révolutionnaire.
Mais Bletchley devait faire face à un autre obstacle, à savoir que les différentes armes de la force militaire allemande employaient des versions légèrement différentes du système Enigma. La machine Enigma de l’armée de terre était déjà redoutablement complexe. Celle de la marine, comme le savaient les cryptographes, n’était pas une mince affaire à mettre au jour, plus complexe, avec des rotors supplémentaires et des paramètres et des grilles plus stricts. Dans les premiers mois de la guerre, pour les nouvelles recrues prenant joyeusement la route de Bletchley Park, ignorant tout de la situation, Enigma serait la priorité des priorités.
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1939-1940 : l’initiation à Enigma
Dès l’arrivée, ce qui déroutait toute nouvelle recrue à Bletchley, c’était l’ambiguïté de l’institution. On n’y conduisait pas une opération entièrement militaire, ni entièrement civile, mais plutôt un curieux mélange des deux, surtout les premiers temps.
Autrement dit, les uniformes, les parades et les exercices n’étaient pas monnaie courante en ces lieux. Lorsque le rythme de travail s’intensifia et que les responsabilités furent réparties entre les différents services (armée de terre, armée de l’air et marine) et dans divers baraquements, l’endroit demeura curieusement empreint d’une certaine autonomie et autodiscipline. Si vous travailliez dans le baraquement 8 sur l’Enigma de la marine, par exemple, vous dépendiez du responsable du baraquement 8 et apparemment de personne
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