Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
ça. »
Ce n’était cependant pas qu’une question de sommeil. Le besoin constant d’afficher une précision optimale rendait inhabituellement intense la pression aux petites heures du jour.
Keith Batey relate la nature complexe mais répétitive du travail, parlant de la technique de « rodding » 16 sophistiquée inventée par Dilly Knox. « Il partait du principe qu’un mot était susceptible d’apparaître dans le message, de six lettres minimum. Et vous pouviez choisir les endroits où il valait la peine de chercher en vous concentrant sur les “clics”. Autrement dit, vous disposez la lettre supposée sur chaque section du texte et recherchez les paramétrages par le biais des tiges de Dilly où la lettre apparaît deux fois. Les grilles étaient faites pour repérer rapidement tous les “clics”. Lorsque vous aviez un double “clic”, vous placiez les tiges pour vérifier si ça marchait. Et ça marchait très souvent et vous ne vous penchiez pas sur chaque code soixante-dix-huit fois. »
Tout comme la technique de « rodding » de Dilly Knox, il y avait les fiches de Zygalski, conçues par les Polonais, les premiers à avoir craqué Enigma, et actualisées et modifiées à Bletchley par John Jeffreys, Alan Turing et Gordon Welchman. Les versions actualisées étaient connues sous le nom de « Netz » ou Fiches de Jeffreys.
La découverte du principe des « cillis » par Dilly Knox aida grandement Bletchley. Sir Harry Hinsley en a donné la définition suivante : « Erreurs de procédure commises par les opérateurs d’Enigma associant (1) un paramétrage identifiable et non aléatoire et (2) une modification insuffisante ou l’absence de modification de la position des rotors avant l’envoi d’un message. » Sir Harry a ajouté que cette découverte fut peut-être baptisée ainsi d’après le prénom de la petite amie d’un opérateur allemand qui s’appelait Cilli. Utilisant le prénom de sa petite amie comme paramètre de message, l’opérateur avait opté pour le diminutif « Cil ».
En outre, selon Alan Stripp, la cuirasse d’Enigma présentait un autre défaut : l’« indicatif ». Après avoir suivi les instructions du jour concernant l’ordre des rotors, le positionnement des anneaux et les branchements, l’opérateur Enigma allemand plaçait les trois rotors sur un point de départ aléatoire. Ensuite, dans le cadre du préambule aux messages qu’il envoyait, l’opérateur saisissait deux fois « un élément qu’il avait lui-même choisi aléatoirement », comme l’indiquait Stripp. Ce pouvait être par exemple FJU. Il tapait alors de nouveau en guise de confirmation le paramétrage, qui apparaissait chiffré sous la forme PORCDQ.
« L’opérateur devait fournir un indice au gars se trouvant à l’autre bout, dit Keith Batey. Mais comme il était possible de commettre des erreurs en morse, on le répétait une fois. Vous aviez donc deux fois cet élément de trois lettres. Vous saviez ainsi qu’il y avait une répétition. »
Lorsque Bletchley eut découvert la nature des préambules à six lettres, ils disposèrent instantanément d’une mince ouverture pour démonter le restant du code via des jours et des jours de calcul (dont la puissance demeurait encore hors de portée). « Mais alors, ajoute M. Batey, les Allemands se sont soudain rendu compte que c’était mauvais signe. » Une fois que les Allemands eurent réalisé que le principe, institué à la base pour renforcer la sécurité, rendait ironiquement bien moins sûres leurs communications, ils mirent un terme à son utilisation en mai 1940.
Et ce principe ne concernait que le trafic des armées de terre et de l’air. Prendre en défaut l’Enigma de la marine allemande fut bien plus difficile. Dès le départ, ses principes théoriques de conception et modes d’utilisation s’étaient avérés plus sophistiqués et rigoureux. Ses opérateurs jouissaient d’une liberté bien moins grande, éliminant ainsi quasiment le risque d’erreur de leur part.
Pour ces jeunes gens intelligents en pulls colorés à motifs, le travail ne consistait donc pas seulement à fixer, le regard vide, des lettres apparemment associées aléatoirement. Il s’agissait aussi d’utiliser des moyens pénibles mais nécessaires de réaliser inlassablement des tests sur la base de messages réguliers tels que les bulletins météo et indicatifs, dont le langage était censé être
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