Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
s’habituer au travail en équipe : « Si vous étiez de journée, avec un peu de chance l’équipe de nuit avait traité une partie des messages. Ça dépendait de ce qui se passait. Il y avait toujours du pain sur la planche. »
Mais le travail de nuit était un enfer. Vous commencez à piquer du nez puis vous êtes soudain réveillé par un message très important qui vous ramène à la vie. Ce n’est pas la routine. Vous vous passionnez soudain pour la position de tel U-Boot ou du Graf Spee . 15 Vous héritez de quelque chose qui vaut vraiment la peine.
Et le sommeil ! C’était horrible, parce qu’on passait chaque semaine de l’équipe de jour à l’équipe de nuit. C’était l’enfer. Mais tout le monde s’y pliait, bien entendu. Les soldats, les marins, tout le monde.
Selon Ruth Sebag-Montefiore, personne dans les baraquements n’était au meilleur de sa forme après tant d’heures passées dans un état de concentration extrême. « Individuellement, ces travailleurs de l’ombre, avec leur esprit original et leur brillant cerveau, avaient une allure intéressante, se souvient-elle. Mais, pris collectivement, lorsqu’ils sortaient en masse de leur baraquement pour prendre l’air ou aller à la cantine, là, à gesticuler, les cheveux en bataille, myopes comme des taupes avec des lunettes aux verres épais, on avait l’impression qu’ils venaient tout droit d’une autre planète. »
L’acteur Sir Anthony Quayle, qui, selon certains, fit un bref passage par Bletchley plus tard au cours de la guerre, était éperdument amoureux d’une actrice mariée du nom de Dorothy Hyson. À l’époque, elle incarnait le glamour du théâtre de West End. Le travail de nuit qui l’attendait maintenant était d’une tout autre nature. Hyson avait été convoquée pour travailler au Park pendant que Quayle était en opération militaire à Gibraltar. Un jour, alors qu’il était en permission, Sir Anthony revint sur cet épisode : « La raison essentielle de mon retour en Angleterre ne se trouvait pas à Londres, car elle était partie travailler comme cryptanalyste à Bletchley Park. Je suis allé la voir là-bas. J’ai constaté qu’elle était malade et épuisée par les longues nuits de travail. »
Des décennies après, le cryptographe William Millward a réfléchi aux effets secondaires du travail en équipe exténuant :
Nous travaillions en équipes selon un modèle soi-disant recommandé par les autorités médicales et dont l’objectif était d’éviter des changements pénibles pour le rythme circadien. Dans la pratique, il a plutôt détruit ce rythme… J’ai travaillé ainsi pendant deux ans et demi, avec une semaine de congé par an. Je me suis parfois demandé si ce rythme de travail, avec toute l’excitation et le dévouement associés, n’était pas à l’origine des insomnies aiguës dont j’ai souffert une dizaine d’années plus tard.
Certaines pensionnaires féminines de Bletchley Park se souviennent qu’occasionnellement une nuit de travail dans un baraquement pouvait s’avérer « sinistre » en raison d’un silence inquiétant. Il était également difficile de se déplacer dehors dans l’obscurité totale, seulement armé d’une torche peu efficace. L’une de ces anciennes pensionnaires se rappelle avoir inconsciemment mémorisé les emplacements des nids-de-poule sur la route.
« Je me souviens que je regardais par la fenêtre du premier étage du manoir, dit un autre ancien, au moment de la rotation entre l’équipe de jour et l’équipe de nuit. Certaines personnes arrivaient pour travailler, tandis que d’autres rentraient chez elles. J’ai gardé à l’esprit la vision de tous ces individus qui fourmillaient dans l’obscurité sur la pelouse et au bord du lac. »
Sheila Lawn se souvient cependant de l’avantage que présentait ce système. « Étant tous jeunes, nous nous adaptions très bien. Aujourd’hui, j’aurais beaucoup de mal à m’y faire. Mais, à l’époque, nous étions très flexibles et nous acceptions le principe. Il y avait des avantages et des inconvénients. Le rythme était moins rigide. Bien entendu, il nous arrivait de travailler la nuit, mais on avait ensuite la journée pour nous. »
Un autre ancien est tout aussi flegmatique : « Lorsque vous changiez de rotation, votre rythme de sommeil était modifié et c’était un peu dur pendant un jour ou deux. Mais c’était comme
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