Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
outre, le fait d’écouter tant de messages avait pour effet de renforcer la détermination de Churchill. Grâce aux messages déchiffrés, il savait que lui et les Britanniques avaient encore un peu de temps.
En fait, le 16 juillet 1940, une fois l’assujettissement de la France confirmé, Hitler publia la directive n° 16 mentionnant les préparatifs d’« une opération terrestre contre l’Angleterre ». Ce plan fut baptisé « opération Lion de mer », expression qui fut ensuite de plus en plus captée par les cryptanalystes, ce qui n’était guère rassurant. Une offensive aérienne initiale devait démarrer le 5 août.
La bataille d’Angleterre s’annonçait, ce moment extraordinaire qui a vu, comme le souligne le capitaine Jerry Roberts et ancien de Bletchley, « une minuscule tache située au nord sur la carte de l’Europe » tenir bon alors que les pays avoisinants chutaient les uns après les autres. Si Bletchley ne put concrètement aider les avions lors de la bataille, sa contribution avait été inestimable en amont.
Dans ce climat d’anxiété nationale, l’état-major bénéficia d’un autre petit coup de fouet car il avait appris qu’il était possible de se montrer plus malin que les Allemands. Ils paraissaient peut-être imbattables en termes de force physique pure, mais le fait de connaître à l’avance leurs plans et manœuvres rendait leur menace en théorie enfin surmontable.
Au début, les bombes cryptographiques étaient actionnées et entretenues pas des techniciens de la RAF spécialement choisis, sous la direction du sergent nommé Jones. Après des semaines de frustration au cours desquelles Victory générait inlassablement des arrêts erronés, comme le sergent Jones l’écrivit par la suite, « on réalisa que des changements radicaux s’imposaient encore… Par conséquent, les cryptographes, ingénieurs, professeurs et docteurs se réunirent et décidèrent des mesures à prendre ».
Ce fut le premier signe de frictions sérieuses à Bletchley Park. Si l’on ne pouvait pas vraiment dire que les trois armées (armée de terre, marine et armée de l’air) étaient en concurrence, il n’en demeurait pas moins que l’on venait à bout avec un certain succès de certains codes tandis que d’autres (les codes de la marine allemande) résistaient toujours. Résultat, on estima que la marine britannique ne recueillait pas les précieux renseignements dont elle avait besoin.
Bien que l’on ait mis l’accent sur le renseignement aérien pendant la bataille d’Angleterre de la mi-août, Frank Birch, responsable de l’équipe allemande au sein de la Section navale de Bletchley Park, rédigea une note à l’intention d’Edward Travis, directeur adjoint du Park :
Je suis inquiet à propos de l’Enigma navale et ça ne date pas d’hier, mais je ne voulais pas trop en parler… Turing et Twinn sont du genre à attendre des miracles, mais sans y croire…
Le baraquement 8 n’a pour l’instant obtenu aucun résultat… Turing et Twinn sont brillants, mais à l’instar de nombreuses personnes brillantes ils ne sont pas pragmatiques. Ils ne sont pas organisés, ils perdent des choses, ils font des erreurs quand ils copient des éléments et hésitent entre la théorie et la technique du mot probable.
Il y avait peut-être un peu de vrai dans les récriminations de Birch (Jack Copeland dit par la suite que Turing ne parvenait pas du tout à se faire comprendre), mais, d’une manière générale et comme les mois suivants allaient le démontrer, ces griefs étaient injustes. Grâce à la rigueur d’utilisation de l’Enigma navale, et notamment l’emploi des tableaux de digrammes, les messages chiffrés avec cette machine étaient bien plus difficiles à craquer que ceux de l’Enigma de l’armée de terre et de la Luftwaffe sur lesquels travaillait le baraquement 6. La seule possibilité que Turing et son équipe du baraquement 8 avaient de craquer l’Enigma navale était que l’on récupère l’un de ces livres de codes.
En attendant, une autre découverte capitale se produisit. Turing et Welchman constatèrent que leur « tableau diagonal » permettait de passer en revue simultanément les vingt-six paramétrages du tableau de connexions d’un rotor. « Agnes », diminutif de son vrai nom, Agnus Dei, la machine sœur de Victory, entra en service en août 1940, dans le baraquement 11. Ces deux machines devinrent entièrement
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