Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
destinée à devenir l’oracle de Bletchley ». Les origines de la machine étaient plus prosaïques, même si sa conception fit appel à l’inspiration.
Alan Turing avait, entre autres qualités, celle d’être extrêmement doué pour bâtir des choses de A à Z. En matière d’expérimentations électriques, c’était le maître de ce que l’on appelle le « système D ». Même dans les années qui ont suivi la guerre, marquées par un grand nombre de progrès technologiques, les appareils de Turing ont eu tendance à passer pour les symboles de l’invention du savant fou, un labyrinthe de câbles traînant partout et fixés avec du sparadrap. Avant son décès prématuré en 1954, sa maison de Manchester était le théâtre de nombreuses expériences chimiques extraordinaires et parfois de haute volée.
Turing avait eu, dans les années 1930, l’idée d’une « machine universelle de Turing », inspirée d’un problème mathématique, posé à Cambridge, sur le caractère démontrable de n’importe quelle affirmation mathématique. Turing eut l’idée de créer une machine capable d’exécuter cette tâche.
Lorsqu’il essaya de visualiser la forme de cet engin, Turing pensa aux machines à écrire et à la façon dont elles étaient conçues pour assurer certaines fonctions. Selon son biographe Andrew Hodges, il avait à l’esprit l’idée d’une super-machine à écrire capable d’identifier des symboles, d’écrire, mais également d’effacer. Une machine que l’on pourrait configurer d’une multitude de manières afin d’exécuter de nombreuses tâches, mais qui demeurerait automatique, nécessitant très peu voire aucune intervention humaine. Il partait du principe que tous les calculs réalisés par l’être humain étaient à la portée d’une machine.
Ces bombes n’étaient pas des machines universelles de Turing, loin de là. Elles n’étaient pas non plus une extension des « bombas » polonaises, dont il avait repris le nom. La bombe britannique était assez différente.
Dans un certain sens, c’était une réponse philosophique à la nature de l’Enigma. Malgré le nombre décourageant de combinaisons produites par Enigma, celle-ci fonctionnait grâce à un processus mécanique. Dans l’idée de Turing, Enigma pouvait donc être vaincue mécaniquement. Si, avec ses rotors, son câblage et sa table de substitution, Enigma était capable de chiffrer des messages, un système électrique doté de circuits pouvait à coup sûr les déchiffrer.
Comme nombre d’anciens de Bletchley l’ont souligné, il ne s’agissait pas exclusivement d’une question de mécanique. Pour qu’une bombe fonctionne, il fallait le coup de pouce d’un mot probable, deviné « manuellement » et fourni à la machine, et qui passerait ensuite par toutes sortes de combinaisons afin de vérifier s’il permettait de révéler le texte chiffré. Autrement dit, une telle machine nécessiterait encore l’intervention d’un humain armé de sa pensée latérale. Néanmoins, à une époque où les échanges téléphoniques électroniques et les signaux de télévision étaient une toute nouvelle science, le principe d’une machine capable de se charger de la tâche épuisante de vérification d’un nombre infini de combinaisons, à une vitesse bien supérieure à celle d’une armée de cryptanalystes, était révolutionnaire.
Quand le jeune mathématicien Oliver Lawn fut recruté à Bletchley Park par Gordon Welchman, il se retrouva affecté à la création d’une bombe qui devait s’avérer efficace. Cette machine était construite à Letchworth, les travaux délicats et confidentiels étant supervisés par Lawn. Technologiquement parlant, cela revenait presque à assister à la construction du premier engin nucléaire. L’influence que la machine de Turing devait avoir sur le cours de la guerre fut tout aussi inestimable. Lawn témoigne :
Turing était un théoricien et Welchman le gars de terrain. Les deux ont associé leur intelligence et fait évoluer cette machine, fabriquée en série à Letchworth par une société nommée à l’époque British Tabulating Machine Company. Les premières machines sortirent quelques mois après mon arrivée à Bletchley.
Avec d’autres, nous avions l’habitude de séjourner dans un hôtel de Badlock, près de Letchworth, et de collaborer avec les ingénieurs sur la fabrication de la machine. Les ingénieurs apportaient
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