Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
Sur le plan industriel, l’image de ces bombes cryptographiques faisant tic-tac, cliquetant et rejetant de l’huile à l’unisson, rappelle des scènes du film de Fritz Lang Metropolis . C’est l’image de petites gens s’occupant d’énormes machines exigeantes fonctionnant inexorablement.
Il arrivait que ces bombes cryptographiques soient carrément dangereuses, comme le raconte un technicien : « Une opératrice Wren se refaisait une beauté en se regardant dans son miroir en métal quand ce dernier glissa à travers deux grosses bornes électriques. Il se produisit un éclair, le miroir disparut et son bâton de rouge à lèvres fut propulsé contre sa gorge. Je travaillais à proximité. En entendant crier la jeune fille, j’ai relevé la tête. J’ai cru qu’elle s’était tranché la gorge ! »
Mais, pour d’autres, comme Jean Valentine, jeune Wren qui devait par la suite craquer les codes japonais à Ceylan, il s’agissait simplement de s’accrocher et de se mettre au travail. « On m’a envoyée à Adstock vivre dans le village de Steeple Claydon. C’est là que j’ai commencé à travailler sur la bombe. On faisait équipe ou on montait des “gardes”, comme ils appelaient ça : de 8 heures à 16 heures pendant une semaine, de 16 heures à minuit la semaine suivante, puis de minuit à 8 heures la troisième semaine. Le dernier jour de cette troisième semaine, nous finissions donc à 8 heures pour reprendre à 16 heures le même jour. Nous travaillions donc seize heures le dernier jour. Une fois que vous aviez compris comment [faire fonctionner] la bombe, c’était bon. Ce n’était pas si compliqué que ça. »
Jean Valentine affirme que, personnellement, elle n’a pas vraiment perçu ce travail sur de grosses machines comme une source de stress particulière par rapport à d’autres missions de l’effort de guerre. « Il fallait certes être très précise, mais c’était une question de discipline. Vous vous discipliniez parce que l’on vous disciplinait. On ne nous faisait aucun mal, mais on attendait certaines choses des jeunes. Lorsque vous êtes jeune, vous avez les doigts très souples, vous êtes beaucoup plus rapide. Et le cerveau fonctionne plus vite. »
En outre, nombre de personnes ont raconté à quel point ces bombes cryptographiques fonctionnant pendant des heures faisaient un bruit insupportable. Là encore, les souvenirs de Jean Valentine divergent quelque peu : « Je n’aime pas le bruit. Mais, pour moi, ça s’apparentait au fonctionnement de machines à tricoter, avec une sorte de cliquetis. C’était répétitif, mais je ne peux pas dire que c’était un bruit particulièrement pénible. En fait, la bombe reconstituée dans le musée de Bletchley Park est bien plus bruyante qu’une salle dotée de cinq machines. »
Un autre effet secondaire du travail se faisait sentir quand elle rentrait chez elle, ajoute Jean Valentine. Signe de la discrétion générale de mise à l’époque, cet effet ne générait pas de questions : « Ma mère ne m’a jamais rien demandé, mais elle m’a simplement dit un jour : “Qu’est-ce que tu fais avec tes manches de chemisier ?” Je ramenais mon linge sale à la maison et les manches étaient toutes noires. C’étaient les projections d’huile provenant des bombes, si fines qu’on ne les voyait même pas. J’ai alors simplement répondu, “Oh, c’est à cause de mon travail”. Et ma mère n’a pas cherché à en savoir plus. »
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1940 : Enigma et le Blitz
« Ultra n’a jamais mentionné Coventry », fait observer le responsable de la Section air Peter Calvocoressi. « Churchill, pas du tout enclin à se demander s’il fallait sauver Coventry ou sauvegarder Ultra, avait le sentiment que le raid allait viser Londres. »
Le raid allemand sur Coventry dans la nuit du 14 novembre 1940 demeure encore aujourd’hui sujet à controverse. Grâce à une référence qui en dit long du capitaine Winterbotham dans son livre original sur Ultra, la théorie selon laquelle Churchill a laissé brûler la ville des Midlands, et ce afin que les Allemands ne se doutent pas que Bletchley avait craqué Enigma, n’a jamais disparu des débats. Et, bien que la plupart des anciens de Bletchley Park estiment que cette théorie est absurde, certains ne sont pas si affirmatifs. Mais, afin de se faire une meilleure idée des événements violents de cette nuit-là, il faut expliquer un peu le
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