Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
situation. Après la collision survenue en septembre 1941, au cours de laquelle le HMS Clyde fut endommagé par l’U-67, l’amiral Dönitz décida que les codes des sous-marins devaient avoir une clé différente de celle des bâtiments de surface. Tout le personnel du baraquement 8, qui déchiffrait déjà « Dolphin » (la clé de l’Enigma navale), dut se pencher sur la clé sous-marine, baptisée « Shark » (requin). Avec la nouvelle version de l’Enigma, « Shark » avait maintenant des dents plus pointues. L’Amirauté se retrouvait une fois de plus confrontée à la vision cauchemardesque de tous ces navires chargés d’un approvisionnement vital et leur équipage voguant sans protection.
Cela ne pouvait pas se produire à un pire moment : les U-Boote croisaient le long de la côte des États-Unis, se posant sagement avant de procéder à un encerclement, naviguant parfois parmi les convois. Ils attendaient généralement la nuit, puis lançaient leurs torpilles, pour que, lorsqu’un bâtiment s’embrase, les autres puissent assister au spectacle. Les membres d’équipage périssaient dans les eaux démontées et les cargaisons si précieuses étaient envoyées par le fond.
Tout ceci coïncida presque parfaitement avec le paroxysme d’une longue lutte pour le pouvoir au sein de Bletchley Park. Pendant quelques mois, certaines voix s’élevèrent au sein du Park, dans Whitehall et d’autres sphères de la communauté du renseignement, clamant qu’il fallait renouveler la direction de Bletchley Park, l’actuelle étant inefficace et n’accomplissant pas correctement sa mission. Les branches du renseignement militaire voyaient de plus en plus d’un mauvais œil l’autonomie grandissante de Bletchley Park en matière de renseignement (elles s’inquiétaient probablement doublement de voir Bletchley bénéficier du soutien inconditionnel de Churchill), à savoir que l’institution se chargeait non seulement de déchiffrer les messages, mais également de les analyser.
Selon le récit d’Harry Hinsley, Whitehall s’agitait face à la soi-disant mauvaise organisation de Bletchley Park : « La taille de la GC&CS avait quadruplé pendant les six premiers mois de la guerre. Début 1941, selon les normes de Whitehall, elle était mal organisée, en partie à cause de cette croissance et parce que ceux qui l’administraient étaient dépassés par la complexité de ses activités… » Les responsables militaires goûtaient également très peu ce qu’ils considéraient comme « une anarchie créative, à l’intérieur et entre les sections, qui caractérisait le travail quotidien de la GC&CS et mettait en avant les meilleurs éléments de son personnel de guerre peu orthodoxe et indiscipliné… ».
Même Churchill fut alerté de ces violentes disputes, lesquelles laissaient penser que le directeur Alistair Denniston s’entendait extrêmement mal avec le responsable du MI6, Sir Stewart Menzies. L’ambiance devint électrique. P. W. Filby relate ceci :
Edward Travis était l’adjoint de Denniston et ami avec [Nigel] de Grey. Les jours cruciaux, ils avaient des discussions interminables. Ils étaient dans le bureau d’à côté, mais les cloisons étaient en bois et nous travaillions presque toujours dans le silence absolu. Il m’arrivait donc d’entendre leurs conversations. De Grey avait une voix d’acteur et j’ai su bien avant que cela ne se sache qu’ils jugeaient Denniston incapable de faire face à l’accroissement spectaculaire des exigences d’Ultra…
Il est vrai que dès le début de la guerre Denniston s’était enlisé dans les problèmes administratifs : diriger le Park, faire en sorte de disposer de suffisamment de personnel lorsque la demande émanant d’autres départements et services était forte, se battre constamment pour obtenir plus de machines, trouver assez de prestataires pour la construction des baraquements… Lorsque Bletchley s’étoffa, ses besoins matériels et d’ordre pratique connurent une croissance exponentielle. Tout ceci ruina l’espoir cultivé par Denniston de contribuer personnellement encore plus à la victoire sur l’Enigma.
Le 1 er février 1942, Denniston fut écarté de son poste de directeur de Bletchley Park et affecté dans Londres, à Berkeley Street, à la supervision diplomatique et commerciale de l’opération de cryptanalyse. Il ne fut jamais fait chevalier comme il aurait théoriquement dû
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