Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
l’être. Mais à l’époque, on ne faisait pas dans le sentimentalisme.
Il fut remplacé par son adjoint Travis, même si, aux dires d’une Mimi Gallilee travaillant à ce moment-là au sein du manoir, ce dernier garda le titre d’« adjoint » pendant quelque temps. Serait-ce l’expression d’un restant de loyauté et d’une question de bienséance ?
Robert Cecil, qui travailla par la suite avec Denniston dans le renseignement, à Berkeley Street, a relaté de manière fascinante cette terrible lutte. Il dit au fils de Denniston, Robin, que « les baraquements ont rapidement pris de l’ampleur à Bletchley ; mais il y avait plus d’individus ambitieux que de scrupuleux pour s’attribuer une grande part du mérite. Denniston a quitté Bletchley, puis est revenu à Londres pour échapper à la médisance et poursuivre sa mission. Il détestait plus les luttes intestines qu’il ne craignait la Luftwaffe ».
Cecil a ajouté ceci à propos de Denniston et de son séjour à Berkeley Street : « Il menait toujours bien sa barque, et ses subordonnés, parmi lesquels figuraient un grand nombre de brillants excentriques, l’aimaient bien et le respectaient. Je me souviens de l’un d’eux, diplômé d’Oxford en égyptologie, devenu astrologue. Lorsque ses excentricités commencèrent à nuire à ses collègues, Denniston l’a simplement placé en congé maladie, puis lui a fait bon accueil à son retour. »
Cela nous invite à conclure que le règne de Denniston à Bletchley Park fut marqué par des épisodes aussi significatifs. Robin Denniston ajoute son opinion personnelle sur Sir Stewart Menzies, particulièrement mordante et que devait partager son père : « Menzies était un héros de la Première Guerre mondiale et il a mené ses petites affaires secrètes au MI6 depuis le White’s Club de St James’s. Les prouesses intellectuelles réalisées à Bletchley Park le dépassaient tout simplement. En outre, en tant que responsable d’hommes intelligents et difficiles à gérer, il [Menzies] s’est avéré presque inutile. »
Cette image de l’homme de renseignement dilettante et amateur de boîtes de nuit correspondait parfaitement à la réputation des services secrets dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale. Mais, dans le cas de Stewart Menzies, dire de lui que c’était un habitué des boîtes de nuit et buveur de cocktails revenait à le calomnier. Il semble que l’on ait commencé à se méfier de lui à Bletchley lorsqu’il fut nommé chef du MI6 en novembre 1939. Son prédécesseur, l’amiral Sinclair, qui avait acheté le manoir, était très apprécié, notamment parce que c’était un marin. Le parcours du personnel de haut rang de Bletchley renvoyait au Bureau 40, proche de la marine. À l’inverse, Menzies était un homme de l’armée de terre. Les vieilles rivalités entre les différentes armes avaient la vie dure.
Selon Nigel de Grey, qui commenta la situation avec un peu plus de diplomatie par la suite, les conflits internes à Bletchley Park, qu’il s’agisse de celui-ci ou d’autres, constituaient « un imbroglio de jalousies conflictuelles, d’intrigues et de divergences d’opinion ». Toutefois, les menaces de démission furieusement proférées par Dilly Knox, peut-être exacerbées par la maladie ou la mauvaise humeur, apportent un éclairage intéressant car elles renvoient également à un Denniston accusé de ne pas être à la hauteur.
On voit facilement à quel point la position de chacun au sein de Bletchley a dû être difficile. Les responsables des différents baraquements allaient bien entendu s’affronter pour l’exploitation des bombes cryptographiques. Il ne s’agissait pas d’une rivalité professionnelle, mais bien de prendre conscience que le sort d’une multitude de gens dépendait du travail qu’ils effectuaient. Malgré toutes les moqueries concernant l’ambition de certains et le manque de scrupules d’autres, les conflits éclatant à Bletchley étaient plus que de simples intrigues internes. Pour toutes les parties concernées, les enjeux ne pouvaient être plus élevés. Nombre de membres du personnel avaient des proches en train de se battre en Europe, en Afrique du Nord et en Extrême-Orient. Naturellement, il n’était pas question pour eux de cesser de faire tout leur possible pour fournir assistance et renseignements.
En tout cas, de très nombreux pensionnaires de Bletchley Park
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