Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale

considéraient la promotion d’Edward Travis au poste de directeur comme une excellente chose. Il était bien plus apte que Denniston à gérer la kyrielle de soucis administratifs, des bombes cryptographiques à la sécurité, en passant par le rationnement du thé, que l’institution générait régulièrement.
    Comme il l’a révélé dans ses Mémoires, Gordon Welchman ne rechignait pas à consacrer beaucoup de son temps à Edward Travis :
     
    En tant que chef de guerre, Travis présentait certaines des qualités de Winston Churchill. Il était vraiment d’une ténacité à toute épreuve et aimait procéder à sa manière tout en ayant le chic pour instaurer des conditions de travail agréables… Il trouvait toujours le temps de se pencher sur nos activités et d’échanger avec le personnel de tout niveau ; il avait un sens du contact exceptionnel. Un jour, il a organisé lui-même pour les employés du baraquement 6 un pique-nique qui a eu un énorme succès. Malgré sa charge de travail conséquente une fois nommé directeur, il continuait de s’intéresser à nos activités, y compris celles concernant les sites des bombes cryptographiques.
     
    L’ère de l’amateurisme éclairé avait peut-être disparu et il était temps de passer à une approche plus systématique et disciplinée. Face à l’explosion du trafic de communications à gérer heure après heure, jour après jour, le Park devait s’assurer de la diffusion de toutes ces précieuses informations aux bonnes personnes. En outre, avec l’arrivée des machines et l’afflux d’employés qui s’ensuivait, Bletchley basculait dans l’industrialisation.
    Une nouvelle classe que l’on pourrait qualifier de « technocrate » était en train d’arriver, symbolisée par le jeune et outrecuidant Gordon Welchman. La méthode à l’ancienne d’Alistair Denniston et du Bureau 40, lequel était peuplé d’individualistes versatiles et imprévisibles, s’était révélée extrêmement efficace en son temps. Mais comment espérer de ces gens qu’ils répondent à ces nouvelles exigences hors du commun ? Comment pouvaient-ils être à la hauteur du plus redoutable ennemi de l’histoire de la Grande-Bretagne ?
    Le cryptanalyste Ralph Bennett, envoyé en Égypte pour coordonner les travaux du baraquement 6, fit son retour à Bletchley Park en 1942. « Lorsque je suis parti, j’appartenais à ce groupe d’amateurs enthousiastes, a-t-il écrit. Je suis revenu dans une organisation professionnelle avec des normes et une réputation bien établie à tenir. La réussite n’était plus aléatoire et occasionnelle, mais le fruit naturel d’un souci permanent du détail. »
    D’autres recrues débarquèrent. Le jeune et brillant mathématicien Shaun Wylie, par exemple, est arrivé en 1941. Il devait en partie son recrutement à l’intervention d’Alan Turing car les deux hommes s’étaient rencontrés à la fin des années 1930 à l’université de Princeton. Formidablement intelligent, Wylie était aussi un excellent joueur de hockey sur gazon. Il rejoignit Turing au sein du baraquement 8 pour s’atteler à violer l’Enigma navale. Il devait devenir responsable de la sous-section spécialisée dans les mots probables et réaliser une étude spéciale des expressions et sujets susceptibles de figurer dans les textes chiffrés, tels que les conditions météorologiques et les objectifs des attaques alliées.
    Les débutantes arborant des perles prouvaient quant à elles leur talent dans le travail d’indexation, dont le volume n’avait fait que croître. Grâce à leurs efforts dans l’exécution de tâches pénibles et incroyablement fastidieuses, l’index était si détaillé que les casseurs de codes pouvaient désormais dire, par exemple, quand l’amiral Dönitz communiquait avec un capitaine qui était aussi un ami, en raison de la présence du prénom de la femme de ce dernier.
    L’indexation était également un outil formidable pour la Section air de Bletchley. « J’ai le souvenir, dit l’ancien pensionnaire de Bletchley Hugh Skillen, de milliers de cartes classées dans des boîtes à chaussures rangées de chaque côté d’un baraquement tout en longueur. Lorsqu’un nouveau mot apparaissait dans le message que vous étiez en train de traduire, un néologisme, un nouveau type de kérosène ou une pièce de machine, vous le recherchiez et, s’il n’était pas répertorié, l’indexeur le classait en