Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
indiquant l’heure de référence et en apposant le cachet de la date. »
Après l’attaque japonaise de Pearl Harbor en 1941, événement qui fit entrer en guerre les États-Unis, le colonel Tiltman était déterminé à ce que les cryptanalystes de Bletchley fassent tout leur possible pour percer les codes japonais. Mais il se heurta immédiatement à un double obstacle : en 1942, peu de personnes parlaient le japonais en Grande-Bretagne et ce n’était pas une langue facile à apprendre.
Tiltman lui-même faisait en partie exception. À ce stade, il s’était mis tout seul à acquérir des notions pour s’imprégner de cette langue et évaluer la difficulté, pour les jeunes recrues, de la maîtriser suffisamment pour être capables de traiter les messages chiffrés. Le colonel était optimiste de nature. Cambridge et Oxford furent sollicitées pour localiser des spécialistes en lettres classiques évoluant au sein d’autres secteurs de l’armée. On contacta également des lycées, à la recherche de jeunes gens s’apprêtant à entrer à Oxford ou Cambridge.
« Je me suis aperçu que c’était EXACTEMENT ce que je voulais faire », écrit l’ancien de Bletchley Hugh Denham. Convié à un entretien avec le colonel Tiltman et d’autres personnes, on lui demanda : « Avez-vous des scrupules religieux à lire la correspondance d’une autre personne ? » Il s’ensuivit une formation intensive et épuisante de six mois en japonais, dispensée à la Gas Company de Bedford. Cela défiait la règle classique selon laquelle il fallait au moins deux ans pour avoir une connaissance correcte de la langue. Il n’était pas possible, écrit Michael Loewe sous la forme d’une jolie litote, « de s’arrêter sur les raffinements de l’histoire ou de la culture japonaise ».
Puis vint une brève introduction à la cryptanalyse. Les premiers jours étaient légitimement marqués par une grande frustration. Ils travaillaient seulement sur de vieilles interceptions. En outre, « aucun du millier de caractères que nous avions appris ne figurait dans la page [du message] située devant nous », fait observer Maurice Wiles, autre expert en lettres classiques. Michael Loewe évoque également les « longues et épuisantes heures » passées à simplement indexer les groupes de codes qu’ils étaient parvenus à identifier.
Et, dans la section, ils n’étaient pas tellement nombreux, que ce soit des casseurs de codes ou des administratifs, à répondre à des besoins de classement incroyablement complexes. « À Bletchley Park, nous étions impressionnés par la présence de ces professionnels expérimentés », écrit Michael Loewe. « Grand et maigre, Hugh Fross semblait regarder de haut les bleus rassemblés dans son bureau. »
Néanmoins, « nous avons fini par y arriver », dit Maurice Wiles. « Heureusement, il ne s’agissait pas des codes les plus difficiles, mais il nous a fallu du temps pour saisir leur fonctionnement et résoudre les problèmes. » Autrement dit, une réponse d’une insouciance magnifique à un problème dont la plupart d’entre nous ne sauraient par où commencer pour en venir à bout.
Les travaux portant sur ces codes japonais générèrent également une rivalité intéressante avec les homologues de Bletchley implantés à Washington, aux effectifs dix fois plus nombreux. Le personnel de Bletchley découvrit que la perspective de prendre de vitesse les Américains, qui planchaient sur les mêmes messages, représentait une extraordinaire source de motivation pour craquer les codes le plus vite possible. Lorsqu’une communication parvenant des États-Unis renfermait la solution à un problème rencontré, la section de Bletchley voyait son moral baisser en conséquence. Cette rivalité avec Washington traduit la colère et la frustration des Américains envers les Britanniques, au moins aux niveaux politique et diplomatique, pour ne pas avoir partagé le secret de l’Enigma dans les premières années de la guerre.
L’impatience était encore plus marquée lorsqu’ils passaient nombre de ces « longues et épuisantes heures » à simplement recopier les travaux réalisés simultanément par les Américains. Michael Loewe avait baptisé la Section japonaise « la Cendrillon » de Bletchley Park, car « l’effort portait surtout, et c’était compréhensible, sur les problèmes allemands et italiens » et son travail n’était pas empreint du
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