Les Casseurs de codes de la Seconde Guerre mondiale
la vérité et, Dieu le bénisse, il m’a tendu un mouchoir pour que je me mouche.
Pour Mimi Gallilee, il apparut immédiatement que les personnes du manoir tenaient les rênes. Ses 16 ans ne pesaient pas lourd face à ces hommes et leur secrétaire intelligente : « J’ai directement travaillé sous les ordres de la secrétaire de Nigel de Grey, dit-elle. Et elle m’a enseigné toutes sortes de petites choses. Vu sous cet angle, tout devenait plus intéressant, parce que j’étais plongée dans l’univers des codes et d’éléments que je ne comprenais pas. »
Mme Gallilee se souvient aussi que si l’endroit ne respirait pas la discipline militaire, elle était bien trop jeune pour parler à tort et à travers :
Il m’arrivait de faire la dactylo pour M. de Grey et toutes sortes de tâches qu’il me demandait. Prendre le thé et le café avec lui. Il était taciturne. Sombre. Sévère. Il me faisait peur. Pas question de faire la moindre maladresse. On le respectait énormément.
D’autres, comme Harry Hinsley, étaient des nôtres. Il était charmant et je pense que c’était le seul chef que nous appelions par son prénom. Pas question d’en faire autant avec le capitaine Travis, le capitaine Hastings ou les autres. Avec le colonel Tiltman, c’était “colonel Tiltman”. Il ne nous serait jamais venu à l’esprit de les appeler par leur prénom.
Mimi Gallilee avait ses propres problèmes d’autorité avec sa chef, Mlle Reed. Les responsables administratifs féminines avaient la réputation d’être féroces et beaucoup plus intimidantes que les hommes. Mimi se rappelle :
Mlle Reed me formait et m’enseignait à bien me présenter aux autres. Un jour, elle m’a dit : « Il faudra que je parle à votre mère à l’occasion. Elle doit savoir certaines choses que vous faites. » Elle voulait parler de la façon dont je me comportais au bureau.
Et, à la fin de la journée, je suis rentrée chez moi et j’ai imploré ma mère : « S’il te plaît, laisse-moi partir. Je la déteste, je la déteste ! » Pauvre Mlle Reed. Ce n’est qu’après la guerre que j’ai pris conscience à quel point c’était quelqu’un de bien.
18
1942 : sérieux revers et conflits internes
« Ne croyez pas que c’était l’harmonie parfaite à BP, dit un ancien. Il y avait aussi de sacrées prises de bec. » Fin 1942, certaines tensions internes finirent par éclater.
Bien que jouissant de l’admiration sans bornes de Churchill, Bletchley Park, avec son atmosphère quasi universitaire, ne faisait pas l’unanimité à l’extérieur. Il semble notamment que, dans certains couloirs de Whitehall, on s’inquiétait du mode de diffusion des informations. Et, vu les difficultés et frustrations de l’année précédente et cette bataille interminable pour parvenir à craquer l’Enigma navale, la nouvelle pression pesant sur le Park provenait de différentes sources.
Fin 1941, grâce à Dilly Knox, Bletchley Park avait décroché un succès retentissant et presque inestimable contre le code de l’Abwehr, c’est-à-dire les codes employés par le service de renseignement militaire allemand. L’Abwehr se servait d’une machine Enigma légèrement différente et parvenir à craquer son code tenait du triomphe personnel pour un Knox dont le cancer avait tellement progressé qu’il était contraint de travailler chez lui.
De retour à Bletchley, Oliver Strachey fut affecté à la surveillance des messages entre le QG et les agents de l’Abwehr. Les messages déchiffrés devaient révéler aux services de sécurité le succès d’une opération audacieuse connue sous le nom de « Double Cross » 31 . Le principe était de capturer les agents de l’Abwehr, de les maintenir en poste et de les retourner pour qu’ils travaillent au profit des Britanniques. Il s’agissait autrement dit de les transformer en « agents doubles ». Ainsi, tout le système d’espionnage allemand en Grande-Bretagne serait non seulement surveillé, mais le MI5 pourrait également découvrir, à travers le type d’informations recherchées par les espions allemands, ce que le renseignement ennemi savait et ne savait pas de données telles que les mesures de défense et les manœuvres planifiées. Il existait un autre énorme avantage : les rapports chiffrés rédigés par les agents allemands seraient pistés au sein des réseaux de l’Abwehr, aidant ainsi à craquer les clés de leur
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