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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dan Franck
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la peau. Et on doublait la mise après Caluire. »
    Il éleva les bras en un geste conclusif :
    « Donc, j’ai menti en prétendant avoir sauté du train avant Chalon. C’était plus simple pour tout le monde.
    — Mais cela ne vous a pas apaisé.
    — Je ne me suis pas considéré comme totalement blanchi. Alors que maintenant, il va bien falloir que je prouve mon innocence : sinon, les six balles dans la peau, je les recevrai quand même. »
    Il ajouta :
    « Avec un peu de retard. »
    A cet instant, le juge fut appelé au téléphone. Il prit la communication dans la pièce voisine. Avant de regagner son bureau, il s’entretint avec quelques collègues. La nouvelle qu’il venait d’apprendre ne changeait rien à la manière dont il avait prévu d’agencer son interrogatoire, mais elle déstabiliserait considérablement le prévenu.
    Le juge se demandait si René Hardy était comme ces inculpés acquittés (ou non) qui finissent par croire à leur innocence alors que tout les accuse, bétonnés dans des certitudes quasiment schizophréniques qui leur permettent de se supporter et de survivre, ou s’il reconstruisait son château de cartes sur une base déplacée de quelques centimètres. Le même château de cartes, mais bâti sur un terrain moins friable.
    Il obtint la réponse après avoir retrouvé sa place face à Hardy. Lequel déclara avec un aplomb magnifique :
    « Vous ôtez Barbie, vous faites comme s’iln’avait pas existé, et les pièces du puzzle se remettent à la place qui était la leur avant le témoignage du sieur Morice.
    — Vous êtes incroyable ! s’exclama le juge.
    — Remarquable, peut-être, mais pas incroyable !
    — Barbie vous arrête. Il vous emmène à l’Ecole de santé militaire… Vous y passez combien de temps ?
    — L’après-midi et la soirée.
    — Après, je suppose que vous êtes conduit à la prison de Montluc…
    — Même pas. Il me relâche.
    — Parce que vous avez changé de bord ?
    — Pas du tout !
    — Vous lui faites des promesses, vous lui assurez un échange !
    — Petit échange.
    — Vous êtes Didot, chef de Résistance-Fer, une prise plus que considérable pour la Gestapo de Lyon, on vous arrête puis on vous relâche contre un petit échange  !
    — C’est exactement cela.
    — Vous me prenez pour un imbécile ?
    — Non. »
    René Hardy quitta son siège, posa ses mains refermées sur la table, approcha son visage de celui du juge et dit, la voix très ferme :
    « Je ne suis pas allé à Montluc, Barbie m’a libéré le soir du 10 juin, sans sévices, pour une raison très simple. »
    Il s’éloigna du plateau de la table et, sans quitter le juge du regard, dit :
    « Il ne m’avait pas reconnu. »
    Ils restèrent quelque secondes face à face, dans un silence total, l’un victorieux, l’autre ébranlé. Puis le juge marmonna :
    « Il ne sait pas qui vous êtes, mais il se déplace en personne ?
    — En personne.
    — Pas une seconde il n’imagine être en présence de Didot ?
    — Pas une seconde.
    — Multon, qui vous a fait arrêter, n’aurait pas dévoilé votre identité ?
    — Il n’en a pas eu le temps : il est reparti aussitôt pour Paris.
    — Cela ne tient pas.
    — Prouvez-le.
    — Poursuivez, commande le juge.
    — Barbie me demande mes papiers, je les lui donne, il constate qu’il a affaire au sieur René Hardy, travaillant à Nîmes. A partir de là, il lance ses chiens de garde qui lui confirment mes dires : il y a bien un petit industriel à Nîmes qui s’appelle René Hardy, répond àmon signalement et pourrait très raisonnablement s’être trouvé dans le train de nuit Lyon-Paris. »
    Le juge s’assit pesamment sur son siège. Hardy resta debout. L’un estimait qu’il avait remporté une manche, l’autre cherchait désespérément des arguments à opposer à une manœuvre qui paralysait le jeu. Le juge doutait. Il manquait de pièces pour assurer une attaque en règle, et même pour fortifier sa ligne de défense. La stratégie de Hardy était bonne, sinon excellente : faute de pouvoir faire autrement, il avait concédé l’avantage aux blancs tout en repliant l’ensemble de ses pièces dans un coin solidement gardé. Il avait reconnu avoir menti, justifiait la mystification, introduisait ensuite un doute qui ne s’éclaircirait que sous le coup d’une accusation incontestable. Et le juge ne voyait pas quel argument un procureur pourrait opposer à

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