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Les champs de bataille

Les champs de bataille

Titel: Les champs de bataille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Dan Franck
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bonnes à reconnaître. Comme Hardy fixait le sol, muet, le juge dit, enflant le ton :
    « Il est venu parce qu’il savait à qui il avait affaire. Il savait que Didot venait d’être arrêté, il savait que Didot était responsable du sabotage des trains et des voies ferrées, il savait que Didot serait l’un des premiers informés de la date d’un débarquement, alors attendu en Provence ou dans le Pas-de-Calais. Pour lui, vous étiez un gros poisson. »
    Hardy avait un teint de papier mâché, mais il avait relevé le visage, et il affichait une mine plutôt réjouie.
    « Bref, conclut le juge, poursuivant son raisonnement, il avait tout intérêt à vous ménager. Au moins au début. Après, connaissant ses bonnes manières, tout dépendait de vous : soit vous parliez naturellement, soit il se chargeait de vous desserrer les dents. Autrement dit, soit vous collaboriez, soit il tentait de vous y contraindre.
    — Poursuivez, l’encouragea Hardy. Comme vous le constatez, je vous écoute avec une grande attention. »
    Il souriait, maintenant.
    « A vous de me dire », objecta le juge.
    Il ajouta, souriant à son tour :
    « Vous êtes là pour ça.
    — Allons-y », fit Hardy.
    Il croisa les jambes, apparemment détendu. Le magistrat se demanda quelle farce dissimulaient ces manières. Il redoutait un coup surgi on ne sait d’où. Il ne pouvait croire qu’accablé comme il l’était, Hardy pût adopter et jouer avec naturel les manières d’un innocent.
    « Il est venu me chercher à la prison de Chalon, c’est un fait. Il a procédé à la levée d’écrou avant de m’embarquer dans sa voiture, c’est un autre fait. Nous avons voyagé ensemble, assez agréablement, je dois en convenir. Il m’a emmené avenue Berthelot. L’Ecole de santé militaire, QG de la Gestapo à Lyon. Je suppose que vous connaissez ?
    — Là où votre ami Barbie a massacré Max, siffla le juge.
    — C’est une autre histoire.
    — C’est la même ! » tonna le juge.
    Il se leva, fit trois tours dans la pièce et dit, les dents serrées :
    « Caluire commence le 8 juin à une heure du matin, quand Multon et Moog vous descendent du train ! Caluire se poursuit à l’Ecole de santé militaire et s’achève treize jours plus tard dans la maison du docteur ! Je vous interrogesur ces événements seulement pour en arriver là : Caluire.
    — Vous ne devriez pas, répondit placidement René Hardy. Il n’existe aucun lien entre ma rencontre avec Klaus Barbie et l’arrestation de Jean Moulin.
    — C’est vous qui le dites.
    — Je vous le prouverai. »
    Le juge reprit sa place derrière le bureau. Il s’interrogeait sur la transformation psychique qui s’était opérée chez le prévenu, arrivé hagard une heure plus tôt, ayant retrouvé ses marques et ses couleurs depuis. Après une seconde de réflexion, il lui posa la question. A quoi René Hardy répondit que le mensonge fondamental ayant été démasqué, il s’était allégé d’un poids considérable.
    « Imaginez que vous ayez bâti tout un scénario sur une mystification. Pendant quatre ans, vous vous êtes expliqué en long et en large sur une affaire d’une très grande complexité. On vous a accusé, traîné en justice, et finalement vous vous retrouvez libre et blanchi.
    — D’extrême justesse, précisa le juge.
    — Le résultat est le même… Cependant, bien que lavé, vous ne vous sentez pas très propre. Car vous savez, et vous êtes le seul àsavoir, que le verdict des juges, de l’opinion, de votre famille et de vos amis repose sur une… »
    Il chercha le mot le plus juste :
    « … une approximation. »
    Il fixa son interlocuteur puis, devançant le commentaire, ajouta :
    « Oui, une approximation. Je ne pouvais pas reconnaître mon arrestation par le flic Barbie sauf à prendre le risque d’être accusé de l’interpellation de Delestraint, et donc de sa mort. Là, c’était très compliqué à défendre. Et même, indéfendable. Vous savez comment les choses se passaient chez nous. Des soupçons trop lourds vous conduisaient directement au poteau. Mettez-vous à la place du commissaire Porte, venu m’interroger peu après Caluire. Si je lui avais avoué avoir été pris par la Gestapo, relâché sans sévices alors que, dans les heures qui suivirent ma descente du train, le général Delestraint, avec qui j’étais censé avoir rendez-vous, était lui-même arrêté, j’étais bon pour six balles dans

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