Les chasseurs de mammouths
savoir où aller. Pourquoi ai-je
jamais accepté votre Union ? Comment ai-je pu croire qu’un homme qui
donnait un prix aussi bas serait assez bon pour Fralie ? Ma pauvre fille,
ma pauvre Fralie...
Les gémissements de Crozie furent couverts par le tapage des
voix furieuses et des arguments qui s’élevaient contre Frébec. Ayla tourna le
dos à l’assemblée, se dirigea vers le Foyer du Mammouth. Au passage, elle vit
Rydag qui regardait la réunion avec de grands yeux tristes, au Foyer du Lion,
et elle changea d’idée, alla le rejoindre. Elle s’assit près de lui, lui palpa
la poitrine, l’examina avec attention pour s’assurer qu’il se sentait bien.
Après quoi, sans essayer d’entamer une conversation, parce qu’elle ne savait
que lui dire, elle le prit sur ses genoux, le berça en fredonnant à mi-voix un
petit air monocorde. Elle avait bercé ainsi son fils autrefois, et, plus tard,
seule dans sa caverne de la vallée, elle s’était souvent endormie de cette
manière.
— N’y a-t-il donc personne qui respecte le Bâton Qui
Parle ? rugit Talut, dominant le tumulte.
Ses yeux étincelaient. Il était furieux. Ayla ne l’avait jamais
vu dans un tel état mais elle admira sa maîtrise sur lui-même quand il reprit
la parole.
— Crozie, jamais nous ne mettrions Fralie dehors par ce froid,
et tu nous fais injure, à moi-même et au Camp du Lion, en suggérant que nous en
serions capables.
La vieille femme, bouche bée, dévisagea le chef. Elle n’avait
pas vraiment cru qu’on chasserait Fralie. Elle s’était simplement laissée
emporter par sa harangue contre Frébec, sans songer qu’on pouvait prendre ses
paroles pour une insulte. Elle eut le bon goût de rougir de honte, ce qui en
surprit certains, mais, au fond, elle connaissait fort bien les subtilités des
relations humaines. Après tout, Fralie tenait d’abord d’elle son prestige.
Crozie bénéficiait par elle-même d’une haute estime, du moins jusqu’au jour où
elle avait tant perdu, ce qui l’avait amenée à se rendre malheureuse ainsi que
tous ceux qui l’entouraient. Elle pouvait encore revendiquer la distinction,
sinon la substance.
— Frébec, reprit Talut, il se peut que tu sois gêné d’appartenir
au Camp du Lion, mais, si ce Camp a perdu de son prestige, c’est parce qu’il a
été le seul à bien vouloir t’accueillir. Comme l’a dit Tulie, personne ne t’oblige
à y rester. Tu es libre de partir quand tu voudras, mais nous ne te mettrons
pas dehors, pas avec une femme malade qui va mettre un enfant au monde cet
hiver. Peut-être n’as-tu jamais fréquenté beaucoup de femmes grosses, mais, que
tu t’en rendes compte ou non, ce n’est pas seulement son état qui rend Fralie
malade. Même moi, je sais cela.
« Mais là n’est pas l’objet de cette assemblée. Peu importe
ce que tu en penses, ou ce que nous en pensons, tu fais partie du Camp du Lion.
J’ai exposé mon désir d’adopter Ayla dans mon foyer, de faire d’elle une
Mamutoï. Mais tout le monde doit être d’accord, et toi, tu t’y es opposé.
Frébec, à présent, commençait à se tortiller. C’était une chose
que de se donner de l’importance en s’opposant à tout le monde, en prenant le
contre-pied de l’opinion générale, mais Talut venait de lui rappeler son
humiliation, son désespoir, à l’époque où il s’efforçait de trouver un Camp où
établir un nouveau foyer avec sa précieuse nouvelle compagne, qui lui avait
valu un statut plus élevé qu’il n’en avait connu de toute sa vie.
Mamut l’observait avec attention. Frébec n’avait jamais rien eu
de particulièrement remarquable. Il avait peu de prestige, puisque sa mère n’en
avait guère eu à lui transmettre. Il ne possédait ni talents particuliers ni
vertus notoires. On ne le détestait pas mais on ne l’aimait pas non plus. Il
avait l’air d’un homme assez médiocre. Mais, dans la discussion, il savait être
habile. Ses arguments étaient faux mais ils avaient de la logique. Il avait
peut-être plus d’intelligence qu’on ne lui en attribuait et, apparemment, il
nourrissait de grandes aspirations. Pour un homme comme lui, s’unir à Fralie
avait constitué une belle réussite. Il serait bon de le surveiller de près.
Déjà, faire une offre pour une femme comme elle prouvait une
certaine audace. Le Prix de la Femme était à la base des valeurs économiques,
chez les Mamutoï. La place d’un homme dans sa société lui venait de la
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