Les chasseurs de mammouths
aimable. Lorsqu’elle frotta
pour la troisième fois entre ses paumes les osselets de bœuf musqué, elle
fronçait les sourcils.
— Regarde là-bas ! Qu’est-ce que c’est donc ?
dit-elle, avec un signe du menton.
C’était là une tentative flagrante pour détourner l’attention de
la jeune femme.
Ayla regarda dans la direction indiquée. Quand elle revint au
jeu, la vieille femme avait retrouvé son sourire. Ayla prit tout son temps pour
choisir la main qui renfermait l’osselet gagnant, bien qu’elle eût pris très
vite sa décision. Elle ne voulait pas contrarier trop gravement Crozie, mais
elle avait appris à interpréter les signaux inconscients que transmettait le
corps de la vieille femme quand elle jouait et elle savait, aussi précisément
que si Crozie le lui avait révélé, dans quelle main se trouvait le bon osselet.
Crozie n’aurait pas été contente de savoir qu’elle se trahissait
si facilement, mais Ayla possédait sur elle un avantage particulier. Elle était
tellement accoutumée à observer et traduire de subtiles nuances de posture et d’expression
du visage que cette habitude était devenue presque un instinct. Ces nuances
faisaient partie intégrante du langage du Clan : elles exprimaient les moindres
variantes d’une signification. Ayla avait remarqué par ailleurs que, même chez
les gens qui communiquaient surtout verbalement, ces mouvements du corps, ces
postures exprimaient aussi quelque chose, mais, dans ce cas, ce n’était pas
conscient.
Elle avait été trop occupée à apprendre le langage parlé de son
nouveau peuple pour faire un réel effort d’interprétation de ce langage
inconscient. Sans parler encore très couramment la langue, elle était
maintenant plus à l’aise et elle pouvait désormais utiliser des procédés de
communication qui n’étaient généralement pas considérés comme des éléments du
langage. La partie d’osselets avec Crozie lui faisait comprendre qu’elle
pourrait en apprendre long sur les gens de sa propre race en appliquant les
connaissances et la pénétration qu’elle avait acquises du Clan. Le Clan ne
pouvait mentir, parce que le langage du corps ne permettait pas la
dissimulation. Mais ceux qu’autour d’elle on avait appelés les Autres,
pouvaient encore moins lui cacher leurs secrets. Ils ne savaient même pas qu’ils
« parlaient ». Elle n’était pas encore tout à fait capable de
traduire leurs signaux corporels mais... cela ne saurait tarder.
Ayla choisit la main qui tenait l’osselet blanc, et, d’un geste
rageur, Crozie marqua un troisième point pour elle.
— La chance est de ton côté, à présent, dit-elle. Puisque j’ai
gagné une partie, et toi une, nous ferions aussi bien de déclarer un résultat
nul et d’oublier les enjeux.
— Non, protesta Ayla. Nous misons talent. Tu gagnes mon
talent. Mon talent est médecine. Je te donnerai. Je veux ton talent.
— Quel talent ? demanda Crozie. Mon talent au
jeu ? C’est ce que je fais de mieux, maintenant, et, déjà, tu me bats. Que
veux-tu de moi ?
— Non, pas jeu. Je veux faire cuir blanc. La vieille femme
en resta bouche bée.
— Du cuir blanc ?
— Cuir blanc, comme tunique tu portes pour adoption.
— Je n’ai pas fait de cuir blanc depuis des années.
— Mais peux faire ? demanda Ayla.
— Oui.
Un souvenir vint adoucir le regard de Crozie.
— J’ai appris très jeune, avec ma mère. Jadis, le blanc
était sacré pour le Foyer de la Grue, disent les légendes. Personne d’autre ne
pouvait en porter...
Les yeux de la vieille femme retrouvèrent leur dureté.
— Mais c’était avant que le Foyer de la Grue fût tombé dans
un tel mépris que même le Prix de la Femme est devenu dérisoire.
Elle dévisageait de tout près la jeune femme.
— Que représente pour toi le cuir blanc ?
— Est très beau, répondit Ayla.
Sa réponse provoqua un nouvel adoucissement dans le regard de sa
compagne.
— Et blanc est sacré pour quelqu’un, ajouta-t-elle, les
yeux baissés sur ses mains. Je veux faire tunique spéciale comme aime quelqu’un.
Tunique blanche spéciale.
Elle ne vit pas Crozie jeter un coup d’œil vers Jondalar qui,
précisément en cet instant, les regardait toutes deux. Apparemment gêné, il se
détourna vivement. La vieille femme revint à Ayla, qui gardait la tête baissée.
— Et qu’aurai-je en échange ? demanda-t-elle.
— Tu m’apprendras ? dit Ayla, qui se redressa
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