Les chasseurs de mammouths
pensait-il, assailli par une vague de souffrance
et d’angoisse. O, Mère ! Comment pourrais-je le supporter ? Elle est
la seule femme que j’aie jamais aimée ainsi. Je ne veux pas qu’elle souffre. Je
ne veux pas qu’elle se voit repoussée. Pourquoi elle ? O, Doni, pourquoi
a-t-il fallu que ce fût elle ?
Peut-être devrais-je partir ? Oui, c’est ça. Je vais m’en
aller, c’est tout. Il était incapable sur l’instant, d’avoir des idées claires.
Il se dirigea à grandes enjambées vers le Foyer du Lion,
interrompit une discussion entre Talut et Mamut, à propos de la Fête du
Printemps qui approchait.
— Je m’en vais, lâcha-t-il tout à trac. Que puis-je faire
pour me procurer quelques provisions ?
Son expression de désespoir lui donnait l’air d’un fou.
Un regard entendu passa entre le chef et le chaman. Talut lui asséna
une tape sur l’épaule.
— Jondalar, mon ami, nous serons heureux de te donner tout
ce qui te sera nécessaire, mais tu ne peux pas partir maintenant. Le printemps
arrive, c’est vrai, mais regarde dehors : un blizzard se déchaîne, et les
blizzards d’arrière-saison sont les pires.
Jondalar se calma, réalisant que sa brusque décision de partir
était inconcevable. Aucun homme sain d’esprit ne se mettrait en route par un
tel temps pour un long voyage.
Talut sentit les muscles du jeune homme se détendre sous sa
main. Il continua de parler :
— Au printemps les crues commenceront, et tu as de
nombreuses rivières à traverser. Par ailleurs, après être venu si loin de ton
pays, tu ne peux pas passer l’hiver avec les Mamutoï sans chasser le mammouth
avec les Chasseurs de Mammouths, Jondalar. Une fois reparti, tu n’en auras plus
jamais l’occasion. La première chasse aura lieu au début de l’été, tout de
suite après notre arrivée à la Réunion d’Été. Le meilleur moment pour se mettre
en voyage viendra ensuite. Tu me ferais une grande faveur si tu voulais bien
rester avec nous au moins jusqu’à ce que la première chasse au mammouth soit
passée. J’aimerai que tu montres à tout le monde ce lance-sagaie de ton cru.
— Oui, j’y penserai certainement, répondit Jondalar.
Il planta son regard dans les yeux du gigantesque chef aux
cheveux rouges.
— Merci, Talut. Tu as raison. Je ne peux pas partir encore.
Mamut était assis en tailleur à sa place favorite pour la
méditation : la plate-forme voisine de la sienne qu’on utilisait pour y ranger
les peaux de rennes, les fourrures de couchage superflues. Il ne méditait pas
réellement : il réfléchissait. Depuis la nuit où les larmes d’Ayla l’avaient
réveillé, il avait pris une conscience beaucoup plus précise de son désespoir à
l’idée du départ de Jondalar. L’affreuse tristesse de la jeune femme lui avait
fait une impression profonde. Elle parvenait à cacher à la plupart des gens l’intensité
de son désespoir, mais il remarquait maintenant, dans son comportement,
certains petits détails qui lui avaient échappé auparavant. Elle paraissait
apprécier sincèrement la compagnie de Ranec, elle riait de ses plaisanteries,
mais elle semblait préoccupée, et les soins, l’attention qu’elle prodiguait à
Loup et aux chevaux avaient une qualité d’attente désolée.
Mamut accorda un intérêt plus soutenu à leur grand visiteur,
remarqua la même désolation dans le comportement de Jondalar. Il paraissait
obsédé par une anxiété torturante, tout en essayant, lui aussi, de la
dissimuler. Après cette impulsion désespérée qui l’avait engagé à partir en
pleine tempête, le vieux chaman craignait que le bon sens de Jondalar ne fût
compromis à la pensée de perdre Ayla. Pour le vieil homme qui avait commerce
intime avec le monde des esprits de Mut, cette impulsion provenait d’une force
plus profonde que celle d’un jeune amour. Peut-être la Mère avait-elle des
plans pour lui aussi, des plans dont Ayla faisait partie.
Tout en hésitant à intervenir, Mamut se demandait pourquoi la
Mère lui avait montré qu’Elle était le pouvoir agissant derrière leurs
sentiments mutuels. En fin de compte, il en était convaincu, Elle ferait en
sorte d’adapter les circonstances à Sa volonté mais peut-être, dans le cas
présent, désirait-Elle son aide. Il en était encore à se demander s’il devait
faire connaître les désirs de la Mère, et de quelle manière, quand Ranec entra
dans le Foyer de Mammouth. Il cherchait manifestement Ayla.
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