Les chasseurs de mammouths
présence de vagues formes
animales, d’esprits protecteurs : le Mammouth, le Lion des Cavernes,
peut-être même l’Ours des Cavernes, Ursus en personne. Elle se retrouva tout à
coup assise en tailleur sur une natte, les yeux levés vers le vieil homme qui
était redevenu le Mamut familier. Physiquement, il était las, mais, sur le plan
mental, ses facultés avaient été aiguisées par cette bataille de volontés.
Ayla, elle aussi, avait l’impression de posséder une vision plus nette et elle
continuait à percevoir la présence des esprits protecteurs. Elle était
maintenant suffisamment initiée pour comprendre que le but du vieil homme avait
été de se débarrasser de toute influence néfaste qui aurait pu s’attarder et
mettre en péril la cérémonie. Ces influences avaient été attirées par le mal qu’il
avait évoqué et avaient été chassées avec lui.
Mamut, d’un signe, demanda le silence. Le chant, le son des
instruments se turent ensemble. Il était temps pour Ayla d’aborder la cérémonie
de la racine célébrée comme au Clan, mais le chaman tenait avant tout à
insister sur l’importance de l’aide que devrait apporter le Camp lorsque
reviendrait le moment de chanter. Partout où les emmènerait le rituel de la
racine, le bruit de la psalmodie pourrait les ramener à leur point de départ.
Dans le silence nocturne chargé d’attente, Ayla se mit à marquer
une suite de rythmes inconnus sur un instrument différent de tout ce que ces
gens connaissaient. Il était très précisément ce qu’il semblait être : une
grande coupe taillée d’une pièce dans un morceau de bois et retournée. La jeune
femme l’avait rapportée de sa vallée, et elle surprenait tout autant par ses
dimensions que par l’usage qu’en faisait Ayla. On ne trouvait pas, sur la
steppe aride et battue par les vents, d’arbres assez gros pour y tailler une
coupe comme celle-là. La vallée de la rivière elle-même, en dépit d’inondations
périodiques, ne donnait pas naissance à de tels arbres. Mais la petite vallée
où elle avait vécu était abritée des vents les plus cruels et profitait d’une
eau assez abondante pour nourrir quelques grands conifères. L’un d’eux avait
été frappé par la foudre, et Ayla avait taillé sa coupe dans un morceau du
tronc.
Elle se servait, pour la battre, d’une baguette de bois lisse et
en tirait certaines variations de ton en frappant des endroits différents, mais
il ne s’agissait pourtant pas d’un instrument musical à percussion, comme l’étaient
le crâne aux sonorités de tambour ou l’omoplate. Celui-là était fait pour
marquer des rythmes. Les gens du Camp du Lion étaient intrigués : ce n’était
pas là leur musique, et ils n’étaient pas entièrement à l’aise. Les sons
produits par Ayla étaient franchement étrangers. Toutefois, comme elle l’avait
espéré, ils créaient l’atmosphère appropriée, celle même du Clan. Mamut était
submergé par les souvenirs du temps qu’il avait passé chez cet autre peuple.
Les derniers battements exécutés par la jeune femme, au lieu d’évoquer une fin,
créèrent une impression d’anticipation : on attendait une suite.
Laquelle ? Le Camp l’ignorait. Mais, quand Ayla rejeta sa
cape et se dressa, l’assistance fut surprise par les motifs peints à même sa
peau : des cercles rouges et noirs. Mis à part quelques tatouages sur le
visage de ceux qui appartenaient au Foyer du Mammouth, les Mamutoï décoraient
leurs vêtements et non leurs corps. Pour la première fois, les habitants du
Camp du Lion eurent la perception du monde d’où était issue Ayla, d’une culture
tellement étrangère qu’elle leur demeurait en grande partie inintelligible. Il
ne s’agissait pas simplement d’une tunique de style différent, du choix de
couleurs prédominantes, d’une préférence pour un certain modèle de sagaie, ni
même d’un langage différent. C’était une autre façon de penser, mais ils
reconnaissaient au moins que cette façon de penser était humaine.
Fascinés, ils regardèrent Ayla emplir d’eau la coupe qu’elle
avait remise à Mamut. Elle prit ensuite une racine desséchée qu’ils n’avaient
pas remarquée, entreprit de la mastiquer. Au début, ce fut difficile. La racine
était vieille, durcie, et il fallait en cracher le suc dans la coupe. Elle ne
devait pas en avaler une goutte. Mamut avait voulu, une fois de plus, savoir si
la racine pouvait conserver son
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