Les chasseurs de mammouths
efficacité, après tout ce temps, et Ayla lui
avait expliqué qu’elle serait sans doute plus efficace encore.
Après un moment qui parut très long – elle se
souvenait d’avoir eu déjà cette impression, la première fois –, elle
cracha dans la coupe pleine d’eau la pulpe mastiquée et le reste de suc. Avec
son doigt, elle remua le contenu pour obtenir un liquide légèrement laiteux,
avant de tendre la coupe à Mamut.
En frappant son propre tambour, en agitant sa crécelle faite de
bracelets, le chaman indiqua aux musiciens et aux chanteurs le rythme à
maintenir. Il fit signe ensuite à Ayla qu’il était prêt. La jeune femme se
sentait nerveuse. Sa précédente expérience avec la racine lui avait laissé des
souvenirs désagréables. Elle repoussait mentalement chaque détail des
préparatifs et s’efforçait de se rappeler tout ce que lui avait dit Iza. Elle
avait fait tout son possible pour suivre au plus près le rituel du Clan. Elle
hocha la tête. Mamut porta la coupe à ses lèvres, but la première gorgée.
Lorsqu’il eut avalé la moitié du breuvage, il donna le reste à Ayla. Elle vida
la coupe.
La saveur elle-même semblait venir du fond des âges, elle
évoquait un riche limon dans de profondes et ombreuses forêts primitives, d’étranges
arbres géants, un dais de verdure au travers duquel filtraient le soleil et la
lumière. Presque immédiatement, Ayla commença d’en ressentir les effets. Une
sensation de nausée s’empara d’elle, accompagnée d’une impression de vertige.
Les murs tournoyaient sans répit autour d’elle, sa vision s’embrumait, son
cerveau lui semblait grossir démesurément, au point de se trouver à l’étroit
dans son crâne. Soudain, les murs disparurent. Elle se trouva dans un autre
lieu, un lieu obscur. Elle se crut perdue, connut un instant d’affolement. Elle
eut alors la sensation que quelqu’un lui tendait la main. Mamut, comprit-elle,
se trouvait là avec elle. Elle en fut rassurée. Mais Mamut n’était pas dans son
esprit, comme l’avait été Creb, Il ne la dirigeait pas, il ne se dirigeait pas
lui-même, comme Creb l’avait fait. Il n’exerçait aucun contrôle. Il était là,
sans plus, il attendait de voir ce qu’il allait arriver.
Faiblement, comme si elles s’étaient trouvées à l’intérieur de l’habitation,
et elle à l’extérieur, Ayla entendait les voix qui psalmodiaient, la résonance
des tambours. Elle se raccrocha à ce bruit. Il exerçait un effet réconfortant,
il lui donnait un point de référence, l’impression qu’elle n’était pas seule.
La présence proche de Mamut avait aussi une influence calmante, mais elle
aurait aimé tenir près d’elle l’esprit qui lui avait fourni un solide fil
conducteur et qui lui avait montré le chemin, la fois précédente.
L’obscurité se mua en une grisaille qui devint lumineuse, puis
iridescente. La jeune femme perçut un mouvement, comme si elle-même et Mamut
planaient au-dessus du paysage, mais elle ne distinguait aucun détail
caractéristique : c’était plutôt une sensation de passage au travers du
nuage opalescent qui l’entourait. Par degrés, la vitesse s’accentua, le nuage
brumeux se résolut en un mince voile qui chatoyait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Ayla glissait tout au long d’un tunnel translucide dont les parois
ressemblaient à l’intérieur d’une bulle de savon. Elle glissait de plus en plus
vite, se dirigeait tout droit vers une fulgurante lumière blanche, pareille à
celle du soleil, mais glaciale. Elle poussa un hurlement qui ne produisit aucun
bruit, se retrouva brutalement au centre de la lumière, puis de l’autre côté.
Elle était maintenant dans un vide profond, froid, obscur qui
lui donnait une terrifiante sensation de familiarité. Elle était déjà venue
dans cet endroit, mais, cette fois-là, Creb l’avait retrouvée, l’en avait fait
sortir. Très vaguement, elle sentait que Mamut était toujours avec elle, mais,
elle le savait, il ne pouvait rien pour l’aider. La psalmodie des Mamutoï ne
parvenait plus qu’en faible répercussion. Si elle venait à se taire, la jeune
femme en était convaincue, jamais elle ne retrouverait son chemin, mais elle n’était
pas sûre de vouloir le retrouver. Là où elle était, il n’y avait ni sensations
ni émotions, rien qu’une absence qui l’amenait à mesurer son désarroi, son
douloureux amour, son désespoir. Le vide obscur était effrayant mais
Weitere Kostenlose Bücher