Les chasseurs de mammouths
Esprits ? Nombre d’entre nous
sont convaincus que tu favoriseras la chasse si tu acceptes d’invoquer l’Esprit
du Mammouth avec nous. En quoi nous porter chance pourrait-il te nuire ?
Les Mamutoï seraient si heureux !
Ayla était obligée d’accepter, mais l’adulation dont elle
faisait l’objet lui déplaisait. Elle n’aimait plus se promener dans le
campement, et elle attendait avec impatience le départ de la chasse prévu pour
le lendemain. A l’excitation de sa première chasse au mammouth s’ajoutait le soulagement
d’échapper un moment à tant d’adoration.
Lorsqu’Ayla se réveilla, la lumière du jour commençait à
filtrer par l’ouverture triangulaire de la tente. Elle se leva sans tarder en
prenant garde de ne pas déranger Ranec, ni les autres, et se faufila dehors. La
froide humidité de l’aube imprégnait l’air, mais elle constata avec
satisfaction que les essaims d’insectes avaient disparu. Le soir précédent, ils
pullulaient.
Elle s’avança jusqu’au sombre bassin d’eau stagnante, chargé de
vase et de pollen, terrain idéal pour les nuées de moucherons, cousins, mouches
noires, et surtout pour les nuages de moustiques qui s’élevaient comme des
volutes bourdonnantes de fumée noire. Les insectes avaient pénétré sous les
vêtements, laissant sur la peau des traînées de cloques rougeâtres, ils s’étaient
agglutinés autour des yeux, et introduits dans la bouche des chasseurs et des
chevaux.
Les cinquante hommes et femmes choisis pour participer à la
première chasse de la saison avaient donc atteint les pénibles mais inévitables
marais. Sous la surface amollie par les fontes du printemps et de l’été, la
terre gelée en permanence empêchait l’eau de s’infiltrer. Là où la fonte
accumulée était trop importante pour s’évaporer entièrement, les eaux dormantes
stagnaient. A la saison chaude, on ne pouvait parcourir de grandes distances
sans rencontrer des sols spongieux, de grands lacs ou de petits bassins d’eau
de fonte, bourbiers marécageux où se reflétait le ciel chargé de nuages.
Ils étaient arrivés trop tard pour traverser les marais ou les
contourner. On avait dressé le camp à la hâte et allumé des feux chargés s’éloigner
les hordes volantes. La première nuit, ceux qui n’avaient pas encore vu Ayla
utiliser sa pierre à feu avaient poussé les exclamations de surprise et de crainte
habituelles, mais maintenant tous y étaient habitués et avaient décidé
tacitement qu’elle serait responsable de l’entretien du feu. Des peaux de bêtes
cousues ensemble pour faire une seule grande tente leur servaient d’abri dont
la forme dépendait des matériaux utilisés pour la charpente. S’ils trouvaient
un crâne de mammouth avec ses défenses intactes, ils l’utilisaient pour
maintenir le toit, sinon, un saule nain, souple mais robuste, faisait l’affaire.
Si on ne trouvait pas d’autres supports, on avait parfois recours aux sagaies.
Cette fois-ci, ceux qui partageaient la tente avec les chasseurs du Camp du
Lion avaient disposé la peau de bête sur un poteau de faîtage incliné, dont une
extrémité s’enfonçait dans le sol pendant que l’autre était calée dans la
fourche d’un arbre.
Une fois le camp installé, Ayla avait exploré les marais
alentour et découvert avec plaisir une petite plante aux feuilles vert foncé en
forme de main. En creusant avec soin, elle avait dégagé le réseau de racines et
de rhizomes, en avait ramassé quelques-unes pour les faire bouillir afin d’obtenir
une lotion calmante pour les yeux et la gorge des chevaux, et dont l’odeur
chassait les insectes. En la voyant badigeonner ses piqûres de moustiques avec
la lotion, des Mamutoï lui en avaient demandé, et elle avait fini par soigner
les piqûres de tous les chasseurs. Avec la racine pilée et de la graisse, elle
avait fabriqué une pommade qu’elle comptait utiliser le lendemain. Ensuite,
elle avait trouvé un massif de pulicaires et en avait arraché quelques-unes qu’elle
avait jetées dans le feu. La fumée, ajoutée à l’insectifuge que constituait la
combustion de pulicaires, garantirait près du foyer un espace protégé.
Mais dans la fraîcheur humide du matin, les insectes calamiteux
restaient inactifs. Ayla se frictionna pour se réchauffer, dédaignant l’abri de
peaux et sa tiédeur bienfaisante. L’œil rivé sur l’eau noirâtre, elle s’aperçut
à peine que la luminosité gagnait le reste de la
Weitere Kostenlose Bücher