Les chasseurs de mammouths
de la pierre que de
la plante. Quelques rares herbacées fleuries et des arbrisseaux nains
persistaient, alors que l’herbe épaisse et les carex dessinaient de larges
tapis verts. Même dans cette contrée sauvage et désolée, battue par des vents
glacials et desséchants, la vie continuait.
Des contours se détachèrent bientôt de la brume opaque. Larges
plaques de roches entaillées, longues traînées de sable, de pierres et de
graviers, rochers tombés de nulle part, comme déposés par une invisible main
géante. Le sol caillouteux était lavé par les eaux, menus ruisseaux ou torrents
bouillonnant d’une manière anarchique, et plus les chasseurs avançaient, plus l’humidité
de l’air était sensible. Des langues de neige sale subsistaient dans les
recoins ombragés, et dans une dépression près d’un gros rocher, une couche de
neige encerclait un petit bassin où des blocs de glace en suspension
enrichissaient l’eau de vives couleurs bleutées.
Dans l’après-midi, le vent changea, et quand les chasseurs
installèrent leur campement, une neige sèche s’était mise à tomber. Déroutés,
Talut et les autres se réunirent pour analyser la situation. Vincavec avait
invoqué plusieurs fois l’Esprit du Mammouth sans succès. Tous avaient espéré
voir les mammouths bien plus tôt.
Cette nuit-là, allongée dans ses fourrures, Ayla entendit des
bruits mystérieux qui semblaient émaner des entrailles de la terre : grincements,
gargouillis, grognements. Elle n’arrivait pas à les identifier et ignorait
totalement leur provenance, ce qui la rendait nerveuse et l’empêcha de s’endormir.
Vers le matin, la fatigue l’emporta et elle sombra enfin dans le sommeil.
Lorsqu’elle se réveilla, elle devina qu’il était tard. La
lumière était anormalement vive et tout le monde avait déserté la tente. Elle
ramassa sa pelisse et s’apprêtait à sortir quand elle s’arrêta, bouche bée. Le
vent avait nettoyé la brume qui descendait du glacier. Par l’ouverture de la
tente, elle apercevait le gigantesque mur de glace qui s’élevait si haut que
son sommet se perdait dans les nuages.
Sa taille le faisait croire plus proche qu’il n’était en
réalité, mais d’énormes blocs, jadis arrachés à la muraille de glace, formaient
des monticules à quelques centaines de mètres à peine. Autour des blocs de
glace, plusieurs Mamutoï assemblés lui donnèrent une échelle de la véritable
taille de l’immense barrière de glace. Le glacier offrait un spectacle d’une
incroyable beauté. Dans la lumière du soleil – Ayla s’aperçut que les
nuages ne cachaient plus le soleil – des millions de cristaux
scintillaient de toutes les couleurs prismatiques, avec une dominante du même
bleu irréel qu’elle avait vu la veille dans le bassin. Les mots manquaient pour
décrire ce spectacle. On restait confondu devant tant de splendeur, de
grandeur, et de puissance.
Comprenant qu’elle avait raté quelque chose d’important, Ayla
acheva de s’habiller à la hâte. Elle se versa une coupe d’un liquide recouvert
d’une mince pellicule de glace et qu’elle prit pour de l’infusion. Elle
découvrit qu’il s’agissait d’un bouillon de viande, hésita, puis vida la coupe
avec plaisir. Elle se servit ensuite une louche de céréales grillées sur une
épaisse tranche de rôti froid, et rejoignit le reste des chasseurs à grandes
enjambées.
— Ah, tu as fini par te lever ! remarqua Talut en la
voyant arriver.
— Pourquoi ne pas m’avoir réveillée ? demanda-t-elle
en avalant sa dernière bouchée.
— Il n’est pas sage de réveiller quelqu’un qui dort aussi
profondément, sauf en cas d’urgence, rétorqua Talut.
— L’esprit doit prendre son temps pour ses voyages
nocturnes, afin de revenir frais et dispos, intervint Vincavec qui s’était
approché pour la saluer.
Il esquissa un geste pour lui prendre les mains, mais elle s’esquiva,
frotta rapidement ses joues contre les siennes, et s’en fut examiner la glace.
A l’évidence, les énormes blocs avaient dû tomber avec fracas.
Ils étaient profondément enfoncés et le sol portait encore les traces de leur
chute. On devinait aussi qu’ils étaient là depuis des années. Du sable, moulu
sur la roche par le glacier et déposé par les vents, recouvrait la surface d’une
couche de poussière grisâtre, striée çà et là de langues de neige compacte. La
surface elle-même était grêlée et rendue
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