Les chasseurs de mammouths
n’y avait pas songé depuis des années. Uba était née par un jour
semblable, en ce premier automne qu’elle avait vécu au sein du Clan, après avoir
été découverte par Iza.
L’habitation semi-souterraine et l’espace aplani devant son
entrée avaient été aménagés à même une pente exposée à l’ouest, à peu près à
mi-hauteur. On avait de là une vue étendue, et la jeune femme s’immobilisa un
instant pour la contempler. Le cours de la rivière miroitait, étincelait. Il
murmurait une musique de fond aux jeux combinés du soleil et de l’eau. Plus
loin, dans la brume, Ayla distinguait un escarpement tout semblable. La large
rivière, qui creusait son lit à travers les vastes steppes, était flanquée de
remparts usés par l’érosion.
Depuis l’épaulement arrondi du plateau, en haut de la pente,
jusqu’à l’immense plaine inondable, en bas, le sol de riche lœss était creusé
de profondes ravines, l’œuvre de la pluie, de la fonte des neiges, des coulées
des grands glaciers vers le nord, au printemps. Quelques mélèzes, quelques
sapins dressaient leurs rares silhouettes vertes, droites et rigides, au-dessus
du fouillis d’arbustes dépouillés de leurs feuilles qui couvraient la partie
inférieure de la pente. En aval, le long de la berge, les lances de massettes
se mêlaient aux joncs et aux roseaux. En amont, la vue était bloquée par un
coude de la rivière, mais Ayla voyait Whinney et Rapide qui paissaient l’herbe
sèche.
Une motte de terre vint s’émietter à ses pieds. Surprise, elle
leva les yeux, se trouva sous le bleu éclatant du regard de Jondalar. Talut
était avec lui et souriait largement. La jeune femme s’étonna de voir plusieurs
autres personnes juchées sur l’abri.
— Monte, Ayla. Je vais t’aider, dit Jondalar.
— Pas maintenant. Je viens tout juste de sortir. Que
faites-vous, là-haut ?
— Nous posons des bateaux ronds sur les trous à fumée,
expliqua Talut.
— Quoi ?
— Viens donc. Je t’expliquerai, fit Deegie. J’ai une envie
pressante. Les deux jeunes femmes se dirigèrent ensemble vers une ravine
proche. Des marches grossières avaient été taillées dans la paroi abrupte. On
atteignit par là une rangée de grandes omoplates de mammouths, qu’on avait
percées d’un trou et fixées au-dessus d’une partie plus profonde de la ravine.
Ayla se plaça sur l’une d’elles, dénoua la lanière qui retenait ses jambières
et baissa celles-ci. Elle s’accroupit ensuite au-dessus du trou, à côté de
Deegie. Elle se demandait, une fois de plus, pourquoi elle n’avait pas pensé à
cette position quand ses vêtements la gênaient tant. Elle l’avait trouvée si
simple, si évidente, après avoir vu Deegie agir ainsi. On jetait aussi dans la
ravine le contenu des paniers utilisés la nuit, ainsi que d’autres
déchets : le tout serait emporté par l’eau au printemps.
Elles remontèrent, pour redescendre vers la rivière le long d’un
large ravin. Un ruisselet, dont la source, plus au nord, était déjà gelée,
coulait petitement au milieu. Au changement de saison, il y aurait là un
torrent furieux. Sur la berge de la rivière, on avait empilé quelques calottes
crâniennes de mammouths qui formaient cuvettes. A côté se trouvaient des
espèces de louches à longs manches, grossièrement façonnées à partir de tibias.
Les deux femmes remplirent les cuvettes d’eau puisée à la
rivière. Ayla s’était munie d’un petit sac d’où elle sortit des pétales séchés
qui avaient naguère formé les fleurs bleues pâles du ceanothus [2] ,
riche en saponine. Elle en versa quelques-unes entre les paumes de sa compagne
et les siennes. En les frottant entre des mains mouillées, on créait une
substance mousseuse, un peu abrasive, qui laissait sur la peau un parfum léger.
Ayla cassa une petite branche, en mâchonna l’extrémité et s’en servit pour se
brosser les dents : c’était une habitude qu’elle avait prise de Jondalar.
— C’est quoi, un bateau rond ? demanda-t-elle.
Deegie et elle revenaient vers l’habitation. Elles portaient à
elles deux une panse de bison qu’elles avaient remplie d’eau.
— Nous nous en servons pour traverser la rivière quand le
courant n’est pas trop fort. On commence par monter une armature de bois et d’os
en forme de bol, qui peut contenir deux personnes, trois au plus, et on la
recouvre de peau, le plus souvent huilée. Les bois de mégacéros, une
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