Les chasseurs de mammouths
yeux, elle vit que Rydag
avait dans sa main deux pierres prises au sac qu’il tenait devant lui. Elle s’en
empara et, guidant Whinney par la pression de ses cuisses, elle abattit d’abord
l’un des gros oiseaux au vol bas, puis l’autre.
Elle immobilisa Whinney et, sans lâcher Rydag, se laissa glisser
au sol. Elle le posa à terre, alla ramasser les oiseaux, leur tordit le cou et,
avec quelques hautes tiges d’herbe fibreuse, elle lia les quatre pattes
emplumées. Les lagopèdes, quand ils le voulaient, étaient capables de voler
vite et loin, mais ils n’émigraient pas vers le sud. Ils se couvraient en hiver
d’un épais plumage blanc qui réchauffait et camouflait leur corps et faisait de
leurs pattes des raquettes à neige. Ils supportaient ainsi la saison froide, se
nourrissaient de graines et de ramilles. Quand une tempête se déchaînait, ils
se creusaient de petites grottes dans la neige pour en attendre la fin.
Ayla remit Rydag sur le dos de Whinney.
— Veux-tu tenir les lagopèdes, lui demanda-t-elle par
signes.
— Tu veux bien ? répondit-il dans le même langage.
La joie se lisait dans toute sa personne. Jamais encore il n’avait
couru vite pour le simple plaisir de courir vite : pour la première fois,
il découvrait ce que l’on peut ressentir. Jamais il n’avait chassé ni même
réellement compris les émotions complexes nées de l’exercice conjoint de l’intelligence
et de l’habileté dans le but de trouver sa propre subsistance et celle des
siens. Il venait de toucher de près ces émotions ; jamais il n’en
approcherait davantage.
Ayla sourit. Elle plaça les oiseaux en travers du garrot de la
jument, devant Rydag. Après quoi, à pied, elle prit la direction du terrain de
lancer. Whinney la suivit. La jeune femme n’était pas pressée de rentrer :
elle restait bouleversée au souvenir de l’expression furieuse de Jondalar.
Pourquoi se met-il ainsi en colère ? se demandait-elle. Un instant, il l’avait
contemplée en souriant, tout heureux... quand tout le monde se pressait autour
d’elle. Mais, quand il avait vu Ranec... Elle rougit, en revoyant les yeux
sombres, en ré-entendant la voix douce. Les Autres ! pensa-t-elle. Elle
secoua la tête, comme pour s’éclaircir les idées. Je ne les comprends pas, tous
ces Autres !
Le vent qui la poussait lui jetait au visage des mèches de ses
longs cheveux. Agacée, elle les repoussait de la main. Plusieurs fois, elle
avait songé à se faire des tresses, comme lorsqu’elle vivait seule dans sa
vallée. Mais Jondalar aimait voir ses cheveux en liberté, et elle les laissait
ainsi. C’était parfois très gênant. Sur quoi, avec une certaine irritation,
elle s’aperçut qu’elle tenait toujours sa fronde à la main parce qu’elle n’avait
pas d’autre endroit où la mettre, pas de lanière où la glisser. Avec ces
vêtements qu’elle portait parce qu’ils plaisaient à Jondalar, elle ne pouvait
même pas avoir sur elle son sac de guérisseuse : elle l’avait toujours
attaché à la lanière qui retenait fermée la peau dont elle s’enveloppait
naguère.
Elle leva la main pour repousser une fois de plus les cheveux
qui lui voilaient les yeux et, pour la seconde fois, remarqua sa fronde. Elle s’arrêta,
rassembla sa chevelure en arrière, passa autour de sa tête la souple courroie
de cuir. Elle sourit. Apparemment, c’était la bonne solution. Ses cheveux
retombaient toujours librement dans son dos, mais la courroie les empêchait de
revenir sur ses yeux, et il lui paraissait commode de porter ainsi sa fronde
sur sa tête.
La plupart des Mamutoï supposaient que la fuite précipitée d’Ayla
sur son cheval et la folle chevauchée suivie de son tir réussi sur les
lagopèdes faisaient partie de sa démonstration à la fronde. Sans les détromper,
elle évita de regarder dans la direction de Jondalar et de Ranec.
Quand elle avait fait volte-face pour s’enfuir, Jondalar avait
eu la certitude que c’était sa faute. Il le regrettait, s’en voulait, mais il
avait peine à voir clair dans des émotions complexes qui ne lui étaient pas
familières et il ne savait comment en parler à Ayla. Ranec, lui, n’avait pas
mesuré toute la profondeur du désarroi de la jeune femme. Qu’il éveillât en
elle une certaine réaction, il le savait et il soupçonnait qu’il y avait
peut-être là une des raisons à cette fuite éperdue sur le cheval. Mais, à ses
yeux, il s’agissait là d’une conduite
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