Les chasseurs de mammouths
tranchée qui va du fond du foyer jusqu’à l’extérieur. La
tranchée est tapissée des intestins d’un animal, qu’on gonfle d’air avant de
les faire sécher. On les recouvre d’os avant de remettre la terre en place. La
tranchée pour ce foyer passe par là, sous ces nattes d’herbe. Tu vois ?
Ayla regarda dans la direction indiquée, hocha la tête.
— Elle aboutit ici, poursuivit la femme.
Elle montrait à sa compagne une corne de bison creuse qui sortait
d’un orifice ménagé sur un côté de la petite fosse, au-dessous du niveau du
sol.
— Mais on n’a pas toujours besoin de la même force de vent.
Tout dépend de la façon dont il souffle dehors et de l’ardeur du feu que tu
désires. Tu empêches l’air de pénétrer ou bien tu le laisses entrer ainsi.
Nezzie désignait la poignée, reliée à une sorte de soupape faite
d’une mince clavicule.
L’idée pouvait paraître assez simple mais elle était ingénieuse.
C’était une véritable réalisation technique, essentielle à la survie. Sans ce
dispositif, les Chasseurs de Mammouths n’auraient pu vivre sur les steppes
subarctiques, sinon en quelques endroits isolés, et cela en dépit de l’abondance
du gibier. Tout au plus y seraient-ils venus séjourner à la belle saison. En
ces régions presque dénuées d’arbres, où les hivers avaient la rigueur
caractéristique des lieux où les glaciers empiètent sur la terre, ce foyer à
appel d’air leur permettait de brûler de l’os, le seul combustible disponible
en assez grandes quantités pour leur permettre de séjourner là toute l’année.
Quand Nezzie eut obtenu un bon feu, Ayla se rendit aux réserves,
afin de voir si elle trouverait de quoi farcir les lagopèdes à son goût. Elle
fut tentée par des embryons desséchés, tirés d’œufs d’oiseaux, mais il faudrait
sans doute les faire tremper, et elle ne savait trop combien de temps prendrait
l’opération. Elle songea à utiliser des carottes sauvages ou des graines de
vesce mais elle changea d’idée.
Elle vit alors le panier qui contenait encore le gruau de grains
et de légumes qu’elle avait préparé ce matin-là. On l’avait mis de côté, à la
disposition de qui voudrait en manger, et il s’était épaissi en refroidissant.
Elle le goûta. Quand on devait économiser le sel, on préférait des saveurs bien
définies, épicées. Elle avait assaisonné son gruau de sauge et de menthe, avait
ajouté des racines amères, des oignons et des carottes sauvages aux grains d’orge
et de seigle.
Avec un peu de sel, se dit-elle, et les graines de tournesol qu’elle
avait vues dans l’une des réserves, des groseilles... peut-être aussi le pas-d’âne
et les cynorhodons qu’elle avait dans son sac de guérisseuse, elle pourrait
composer une farce intéressante pour les grues.
Elle prépara les oiseaux, les farcit, les enveloppa de foin
fraîchement coupé, les plaça au fond d’une fosse à feu, avec quelques braises d’os,
et les recouvrit de cendres chaudes. Elle alla voir ensuite ce que faisaient
les autres membres du Camp.
Une grande activité se déployait devant l’entrée, et la plupart
des occupants s’y trouvaient rassemblés. En approchant, la jeune femme
découvrit qu’on avait réuni là de grands tas de graminées. Certains secouaient,
piétinaient, battaient les gerbes au fléau, pour libérer le grain de la paille
et des cosses. D’autres séparaient les grains de la balle qui restait, en les
jetant en l’air avec de grands plateaux à vanner, faits de brins d’osier. Ranec
versait les grains dans un pied de mammouth évidé, prolongé par un morceau de
tibia, qui servait de mortier. Il prit un pilon, fait d’une section de défense,
et entreprit d’écraser les grains.
Bientôt, Barzec ôta sa pelisse de fourrure et, debout en face de
lui, s’empara du lourd pilon une fois sur deux, de sorte que la besogne se
partageait entre eux. Tornec se mit à battre des mains à leur rythme. Manuv
intervint avec un refrain répétitif, psalmodié.
« I-yah wo-wo, Ranec écrase le grain, yah !
I-yah wo-wo, Ranec écrase le grain, neh ! »
Deegie reprit en syncope [3] ,
avec une phrase contrastante.
« Neh neh neh neh, Barzec lui facilite la tâche, yah !
Neh neh neh neh, Barzec lui facilite la tâche,
neh ! »
Bientôt, d’autres se mirent à se frapper les cuisses, les voix
mâles chantant avec Manuv, tandis que les voix de femmes se joignaient à celle
de
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