Les chasseurs de mammouths
Deegie. Ayla, emportée par le rythme, fredonnait tout bas. Elle n’osait pas
faire davantage mais elle était heureuse de participer.
Au bout d’un moment, Wymez, qui avait à son tour ôté sa pelisse,
prit place tout contre Ranec et, sans rompre la mesure, le remplaça. Manuv,
aussitôt, modifia le refrain et, sur le temps suivant, chanta une autre phrase.
« Nah nah we-ye, Wymez prend le pilon, yoh ! »
Quand Barzec parut se fatiguer, Druwez prit sa place, et Deegie
changea de refrain. Puis ce fut au tour de Frébec.
Ils firent une pause pour mesurer le résultat de leurs efforts,
versèrent le grain pilé dans un crible fait de feuilles de massettes tressées.
On remit ensuite du grain dans le mortier, mais, cette fois, Tulie et Deegie se
chargèrent du pilon. Manuv imagina un refrain pour elles deux mais le chanta d’une
voix de fausset qui fit rire tout le monde. Nezzie remplaça Tulie, et, sous le
coup d’une impulsion, Ayla vint se placer près de Deegie, ce qui provoqua des
sourires et des signes d’approbation.
Deegie abattit le pilon, le lâcha. Nezzie tendit la main et le
souleva, au moment où Ayla se mettait à la place de Deegie. Ayla entendit un « yah » !
quand le pilon retomba bruyamment et elle se saisit du gros morceau d’ivoire
légèrement incurvé. C’était plus lourd qu’elle ne pensait, mais elle le
souleva, entendit Manuv chanter.
« A-yah wa-wa, Ayla est la bienvenue, nah ! »
Elle faillit lâcher le morceau de défense. Elle ne s’attendait
pas à ce geste d’amitié spontanée. Sur le temps suivant, quand le Camp du Lion
tout entier reprit le refrain, hommes et femmes, elle se sentit émue au point
de devoir refouler ses larmes. C’était plus qu’un simple message d’amitié et d’affection :
elle était acceptée. Elle avait trouvé les Autres, et ils l’avaient accueillie
parmi eux.
Tronie remplaça Nezzie. Au bout d’un moment, Fralie fit un
mouvement vers elles, mais Ayla secoua la tête, et la jeune femme enceinte
recula docilement. Ayla en fut heureuse, mais cette soumission la confirma dans
son impression – Fralie ne se sentait pas bien. Elles continuèrent à
piler le grain jusqu’au moment où Nezzie les interrompit pour le verser dans le
crible et remplir le mortier.
Cette fois, Jondalar se présenta pour prendre sa part de la
tâche fastidieuse et pénible, que l’effort commun et la gaieté ambiante
rendaient plus facile. Mais il fronça les sourcils lorsque Ranec se présenta à
son tour. Brusquement, la tension entre l’homme à la peau sombre et le visiteur
blond vint mêler à l’atmosphère amicale un courant subtil d’animosité.
Quand les deux hommes, en se passant l’un à l’autre la pesante
défense, commencèrent d’accélérer le rythme, chacun s’en rendit compte. Comme
ils le précipitaient de plus en plus, le chant mourut peu à peu. Mais
quelques-uns des assistants se mirent à taper des pieds, et le bruit des mains
abattues sur les cuisses se fit plus fort, plus vif. Imperceptiblement,
Jondalar et Ranec accentuaient la force de leurs coups en même temps que la
vitesse. Au lieu d’un effort commun, le travail devenait un affrontement de
deux vigueurs, de deux volontés. Quand l’un des deux abattait le pilon,
celui-ci, sous le choc, rebondissait entre les mains de l’autre, qui l’abattait
à son tour.
La sueur perlait sur leurs fronts, ruisselait sur leurs visages,
coulait dans leurs yeux. Elle trempait leurs tuniques, mais ils continuaient à
rivaliser, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Le duel se prolongeait,
indéfiniment, semblait-il. Ils se refusaient à abandonner. Leur respiration se
faisait haletante, ils montraient des signes d’épuisement, mais ils ne
voulaient pas renoncer. Ni l’un ni l’autre ne tenait à céder devant l’adversaire.
Apparemment, chacun aurait préféré mourir.
Ayla était hors d’elle-même. Ils abusaient de leurs forces. Elle
tourna vers Talut un regard affolé. Talut fit signe à Danug, et tous deux s’approchèrent
des deux hommes qui semblaient bien décidés à se tuer.
— Il est temps de laisser la place à d’autres !
tonitrua le chef.
Il repoussa Jondalar, se saisit du pilon. Danug le reprit à
Ranec au moment où il rebondissait.
Les deux hommes étaient assommés par l’épuisement. Ils n’avaient
même pas l’air de se rendre compte que l’affrontement avait pris fin. Ils s’éloignèrent
d’un pas chancelant, le
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