Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
de
sœur tourière [28] .
Adélaïde Condeau était également une alliée. Elle avait été baptisée de la
sorte après avoir été trouvée par un tonnelier à l’orée des bois du même nom.
Elle n’était âgée que de quelques semaines, deux ou trois, guère davantage.
L’homme  – que sa découverte n’arrangeait pas  – avait conduit le
bébé aux Clairets. Il n’avait que faire d’une nouvelle fille, mais les
vagissements du nourrisson affamé l’avaient attendri. Bien qu’encore très jeune
et aisément impressionnable, Adélaïde faisait déjà preuve, elle aussi, d’une
belle persévérance doublée d’une foi inébranlable. Blanche de Blinot, la
doyenne qui la secondait et faisait office de prieure, était sa confidente
depuis si longtemps. L’âge avancé de Blanche était un atout de poids :
elle oubliait la plupart de ce qu’on lui confiait. Même Annelette Beaupré, sœur
apothicaire, pourtant si acariâtre et élitiste, était l’une de celles sur qui
Éleusie savait pouvoir compter. En revanche, elle se méfiait un peu de Berthe
de Marchiennes, la cellérière [29] qui occupait déjà cette redoutable fonction avant l’arrivée d’Éleusie à
l’abbaye. L’aigreur de Berthe était si perceptible sous sa façade dévote. Son
absence de beauté et de dot ne lui avait laissé d’autre recours que la vie
monacale et sans doute eut-elle préféré le siècle [30] .
    Non, décidément non... Un secret n’est jamais mieux protégé
que lorsqu’il n’est pas partagé. Et puis, de quel droit assommerait-elle ces
femmes amies de révélations dangereuses, lourdes à supporter ? Quel
égoïsme ce serait là. Nulle sœur ne devait apercevoir cet homme. Il repartirait
ainsi qu’il était arrivé : comme un inquiétant mystère.
    Éleusie coupa par l’hôtellerie [31] , coincée entre les étuves et le
cellier, pour rejoindre les cuisines. À l’exception de Thibaude de Gartempe,
sœur hôtelière [32] ,
et peut-être de Jeanne d’Amblin, ni l’une ni l’autre soumises à la clôture,
l’abbesse avait fort peu de chance d’y rencontrer quiconque à cette heure. Elle
ne vit pas la petite ombre qui se rencognait derrière l’un des piliers
encadrant l’entrée de la salle de classe. Clément hésita, honteux de s’être
ainsi dissimulé sur un instinct. L’attitude de la mère abbesse le sidérait.
Pourquoi tant de prudence, de dissimulation en son propre couvent ?
    De retour dans son bureau, Éleusie de Beaufort se réinstalla
derrière sa lourde table de chêne. Elle repoussa la lettre du bout de l’index.
La feuille conservait la cicatrice de ses deux pliures et semblait inoffensive
ainsi, perdue au milieu des registres dans lesquels la mère abbesse consignait
avec soin chaque journée de leur vie : les dons, les récoltes, le nombre
et la qualité des barriques de vin conservées dans la cave, les stères de bois
coupés, reçus, offerts, les naissances ou les prélèvements dans le pigeonnier,
le volume des fientes destinées à servir d’engrais, les malades visités,
décédés, les impôts exigés, la composition des repas des sœurs ou le
renouvellement de leur linge. Une demi-heure plus tôt, cette tâche l’avait
agacée. Elle avait renâclé, se demandant quelle utilité pourraient bien un jour
trouver ces interminables énumérations sur lesquelles elle s’appliquait
pourtant. Une demi-heure plus tôt, elle ignorait encore à quel point elle
regretterait sous peu cette ingrate besogne. Au cours de cette minuscule
demi-heure, son monde s’était écroulé, et elle n’avait même pas perçu les
prémisses du cataclysme qui allait ravager en silence la paix de son bureau.
    Un chagrin terrible la suffoqua. Elle assistait,
impuissante, au saccage de ce havre qui l’abritait depuis cinq ans. Toutes ces
images qu’elle était parvenue à refouler, mieux, à éliminer. Tous ces
monstrueux cauchemars d’éveil allaient-ils eux aussi revenir la hanter ?
Des scènes incompréhensibles, si violentes, si rouges, si terrorisantes se
succédaient dans son cerveau sans qu’elle puisse les repousser. Elle avait, à
une époque, cru qu’elle devenait folle, ou qu’un démon lui imposait des visions
d’enfer pour la martyriser. Rien ne la prévenait de la survenue de ces
terrifiantes hallucinations. Elle avait prié la Vierge, des nuits entières,
pour en être soulagée. Son vœu avait été exaucé dès son arrivée au couvent.
Elle était presque parvenue à en

Weitere Kostenlose Bücher