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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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étouffer jusqu’au souvenir. Allaient-elles
ressurgir ? Elle préférait la mort que les subir à nouveau.
    Une femme gisait sur une table de question, allongée sur le
ventre. Le sang de son dos lacéré coulait avec lenteur vers le sol. La femme
gémissait. Ses longs cheveux clairs étaient collés de sueur et de rouge. Une
main frôlait la chair martyrisée et versait une poudre gris sale sur ses
blessures. La femme se cabrait puis s’affaissait, évanouie. Soudain Éleusie
apercevait son profil livide. Elle. Il s’agissait d’elle-même.
    Cette vision, celle-là précisément, lui était revenue, nuit
après nuit, des années auparavant, des mois durant. Éleusie avait décidé
d’entrer en religion.
    Il ne s’agissait que d’un affreux souvenir, se le dire et se
le répéter. Le cœur battant à se rompre, elle récupéra la missive, la tenant du
bout des doigts, et se contraignit au calme. Elle lut pour la dixième
fois :
     
    Hoc quicumque stolam sanguine proluit, absergit
maculas ; et roseum decus, quo fiat similis protinus Angelis.
     
    Ce qu’elle redoutait depuis des années la rattrapait
aujourd’hui.
    Que répondre à cette mise en demeure ? Pouvait-elle
prétendre ne pas savoir, ne pas comprendre ? Sottises ! Que valait
son sang en regard de l’autre, ce sang divin qui nettoyait toutes
souillures ? Si peu, rien.
    Elle entreprit de tracer les hautes lettres de la réponse
qu’elle avait apprise par cœur. Elle l’avait répétée, des heures entières,
comme un exorcisme, songeant, espérant que jamais elle n’aurait à
l’écrire :
     
    Amen. Miserere nostri. Dies illa, solvet
saeclum in favilla [33] .
     
    Une sueur glacée trempait l’ourlet de son voile, la faisant
soudain frissonner, et sa plume lui échappa des doigts.
    Elle la recueillit et reprit :
     
    Statim autem post tribulationem dierum illorum sol
obscurabitur et luna non dabit lumen suum et stellae cadent de caelo et
virtutes caelorum commovebuntur [34] .
     
    Amen.
    La fatigue lui faisait cligner des paupières. Les guenilles
crasseuses qui le couvraient lui levaient le cœur. Pourtant, le messager avait
l’habitude de ces interminables voyages, de ces missions exténuantes sous des
déguisements divers. Parfois, il s’endormait des lieues durant sur le col de sa
monture, remettant son sort, son itinéraire, entre les jambes du cheval qui le
portait. Cependant, il devait cette fois voyager incognito, et un cheval se
remarquait dans ces pauvres campagnes.
    Une bourrasque de joie le souleva. Il était le lien entre
les puissants de ce monde, ceux qui dessinaient le futur pour les générations à
venir. Il était l’entremise, l’indispensable outil. Sans lui, les volontés
demeureraient des vœux, des espoirs. Il les matérialisait, leur insufflant
forme et réalité. Il était l’humble artisan de l’avenir.
    Il n’avait pas fait cinquante toises* hors de l’enceinte des
Clairets que l’écho d’une cavalcade légère le fit se retourner. Une robe
blanche courait à sa rencontre, un panier d’osier tressautant à son bras.
    — Oh mon Dieu ! haleta-t-elle. Je ne devrais pas
me trouver ici, mais vous êtes un frère. Notre mère... Eh bien, j’agis de mon
propre chef. Vous êtes si harassé. Pourquoi n’avoir pas passé la nuit entre nos
murs, à l’hôtellerie ? Nous accueillons souvent des visiteurs. Je jacasse
comme une pie... C’est que je suis très embarrassée. Tenez...
    Elle lui tendit les quelques provisions qu’elle avait
réunies et rougit avant d’expliquer :
    — Je me dis que si notre admirable mère vous a reçu...
eh bien, c’est qu’elle avait confiance, que vous êtes un ami. Je la connais
bien... Elle a tant de travail, tant de responsabilités. Je suis bien certaine
qu’elle aura pensé à vous nourrir, mais sans doute pas à approvisionner votre
voyage.
    Il sourit, elle avait vu juste. Elle était assez frêle, mais
une force peu commune irradiait de chacun de ses gestes. La gentille sœur qui
levait le visage, qui avait bravé pour lui l’interdit de sortie, était la
preuve éclatante que sa fatigue était méritée, et que le Christ vivait en eux.
    — Merci, ma sœur.
    — Adélaïde... je suis sœur Adélaïde, organisatrice des
cuisines et des repas. Chut... Il ne faut pas le dire... Vous comprenez, je ne
devais pas sortir et je n’ai pas reçu d’ordres... c’est pur oubli. Je le
répare, rien de plus. Rien d’autre, nul mérite ne m’en revient...

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