Les chemins de la bête
improvisé, il tira doucement les haillons
répugnants qui couvraient l’homme. La sueur ruisselait sur le visage de
l’enfant, trempant ses yeux, pourtant, la nausée qui le tenait depuis un moment
cédait place à l’excitation, au point que les miasmes ne l’affectaient plus
autant. Il bagarra contre les insectes que son intrusion au milieu de leur
festin exaspérait, les chassant de sa main gantée, et inspecta chaque
centimètre du défunt. Pourquoi cet homme était-il si pauvrement habillé s’il
s’agissait d’un lettré ? Pourquoi ne portait-il pas la robe s’il
s’agissait d’un moine ? Voyageait-il à pied ? D’où venait-il ?
De quoi était-il mort ? Avait-il succombé dans cette clairière, ou l’y
avait-on abandonné après l’avoir carbonisé partiellement ailleurs ?
Malheureusement, l’état de ses mains ratatinées comme un vieux cuir ne lui
permit pas de déterminer si le macchabée avait été un savant ou un paysan.
Rien, aucun objet, aucune particularité autre que cette ancienne tonsure ne
venait à son aide. Avait-il été dévalisé ? Avant ou après son décès ?
Et puis, une évidence s’imposa dans son esprit : les cheveux, les poils du
torse qui adhéraient encore à l’épiderme rongé de vermine, ceux des avant-bras.
Ils étaient intacts bien que souillés d’humeurs. Les vêtements, déchiquetés, en
lambeaux, étaient vierges de toutes roussissures. L’homme n’avait pas été
carbonisé sans quoi, ils eussent brûlé avant même que la peau ne soit attaquée
par la morsure des flammes.
Clément batailla contre le corps massif pour le retourner
sur le dos, et faillit être entraîné sous son poids. Il décolla doucement le
gros tissu qui adhérait aux chairs abdominales. Les viscères pullulaient de
larves blanchâtres. C’est alors qu’il remarqua, dans la mince langue d’herbe
écrasée sur laquelle avait reposé le flanc de l’homme, une sorte de trou
creusé, guère plus large que le diamètre d’une pièce. On eut dit que quelqu’un
avait enfoncé son doigt dans l’humus. Clément gratta avec prudence. Recouvert
de quelques centimètres de feuilles, de terre, patientait un sceau. Il
débarrassa la médaille de cire et l’examina. Sa bouche se dessécha. L’anneau du
pêcheur ! Le sceau papal. Il en était certain, l’ayant déjà rencontré dans
la bibliothèque privée des Clairets. Mais qui était cet homme ? Un
émissaire du pape en déguisement ? Avait-il tenté d’enfouir le sceau avant
de mourir afin de le dérober aux regards ? Qu’était devenue la missive
personnelle [44] que ce sceau protégeait ? L’avait-il délivrée à l’abbaye des Clairets,
seule congrégation religieuse d’importance aux environs ? Le regard de
l’enfant fouilla les alentours immédiats de la petite cavité. Qu’était cette
marque située à une trentaine de centimètres ? On eut dit une lettre. Il
s’allongea, souffla sur la poussière de terre sèche. Une jambe incurvée, bien
nette, apparut comme celle commençant un m ou un n, ou peut-être
même un b ou un d majuscules. Non, il y avait aussi une petite
barre latérale, un peu plus bas... Un E ? Non, à n’en point douter,
il s’agissait d’un A. Sans trop savoir ce qui motivait son geste, il la
balaya du bout des doigts, l’effaçant totalement. Il s’attarda encore quelques
instants afin de reboucher l’orifice qui lui avait révélé le sceau.
Que signifiait ce A ? S’agissait-il de
l’initiale d’un nom, d’un prénom ? Ceux de son meurtrier ? D’un être
cher à rejoindre, à prévenir ? Le mort avait-il voulu laisser un signe à
ceux qui le découvriraient ? Si tel était le cas, il était donc bien mort
dans cette clairière, et son agonie avait duré assez longtemps pour qu’il
dissimule le sceau et trace ce signe.
Clément fit taire la litanie de questions qui se bousculait
dans son cerveau. Il fallait partir, et vite. S’il s’agissait bien d’un
messager de cette importance, il était fort probable qu’on le recherche, ou du
moins que l’on recherche la lettre dont il était porteur. Les hommes du bailli
seraient prêts à n’importe quoi pour plaire à leur chef et au comte d’Authon,
leur maître, sans oublier le pape. N’importe quoi, même faire griller un garçon
innocent pourvu qu’on leur fiche la paix ensuite.
Clément enfouit le sceau dans sa musette et détala bien
vite.
Chapelle du manoir de Souarcy-en-Perche, juin 1304
Une
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