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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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l’emportait chez
lui. Cependant, s’il voulait être honnête, lui aussi avait accepté l’idée
ahurissante que l’amour du Sauveur soit, parfois, imposé par la coercition,
voire l’extrême violence. Il s’était absous en songeant qu’un pape l’avait
devancé dans cette voie. Ce qui importait au fond n’était-il pas
l’incommensurable bonheur d’avoir pu sauver une âme, d’avoir pu la ramener dans
le berceau du Christ [42]  ?
    Ce jeune Bartolomeo et son amour des hommes le mettaient
dans une épineuse situation, puisqu’il ne pouvait plus feindre l’ignorance.
Quelle bêtise de l’avoir reçu ! Il aurait bien mieux fait de le laisser
moisir dans l’antichambre. Peut-être aurait-il fini par partir, vexé ou ennuyé ?
Non, celui-là n’était pas de la race qui se lasse ou perd patience. Sa petite
bouche sèche de chaleur, le courage qui se lisait dans son maintien alors que
la peur baignait son regard, ses mots hachés de timidité mais fermes, tout
trahissait chez lui l’obstination des purs et, d’une certaine façon, rappelait
à l’archevêque Honorius Benedetti sa lointaine jeunesse. Ne lui restait qu’une
désagréable alternative : sévir ou absoudre. Absoudre revenait à
cautionner une cruauté inacceptable et à alimenter les critiques qui
s’élevaient parmi les penseurs de l’Europe tout entière. C’était également
tendre à Philippe IV de France des verges pour se faire battre, et cela bien
que ce dernier n’eût pas dédaigné le recours à l’Inquisition* par le passé.
C’était  – et l’infantilisme de ce dernier argument le fit presque sourire
 – décevoir ce jeune homme assis en face de lui qui croyait que l’on peut
gouverner sans jamais se satisfaire d’accommodations avec la foi. Alors,
sévir ? Le prélat aurait assez apprécié d’en découdre avec ce Nicolas
Florin. Lui faire rentrer dans la gorge ce pouvoir qu’il souillait. Exiger son
excommunication, peut-être. Cependant, en châtiant une brebis galeuse, il
risquait de faire retomber l’opprobre sur tous les dominicains et les quelques
franciscains nommés inquisiteurs, et par voie de conséquence sur la papauté. Et
de l’opprobre à la rébellion, il y a souvent peu de chemin à parcourir.
    Les temps étaient si troublés, si mouvants. Le moindre
scandale serait monté en épingle, on pouvait faire confiance au roi de France
et à d’autres monarques qui n’attendaient que cette occasion.
    Un des innombrables chambellans qui hantaient le palais
papal pénétra à cet instant comme une ombre dans son bureau pour se pencher à
son oreille, et lui signaler dans un murmure l’arrivée de son prochain
rendez-vous. Il le remercia avec une effusion inhabituelle. La mauvaise excuse
qu’il attendait pour se débarrasser du jeune moine se présentait enfin.
    — Frère Bartolomeo, on m’attend.
    L’autre se leva d’un bond en rougissant. Le camerlingue le
rassura d’un petit geste en poursuivant :
    — Je vous remercie, mon fils. Je ne puis, vous le
comprenez, décider seul du sort que nous réserverons à ce Nicolas Florin...
Cependant, soyez assuré que Sa Sainteté ne tolérera pas plus que moi de telles
monstruosités. Elles sont contraires à notre foi et nous discréditent tous.
Allez en paix. Justice sera promptement rendue.
    Bartolomeo sortit du vaste bureau comme porté par une aile.
Quel sot il avait été de tant douter, de tant craindre ! Son bourreau
quotidien, celui qui le harcelait, l’humiliait, le tentait, disparaîtrait
bientôt de ses jours. De ses nuits aussi. Le tortionnaire de tant de petites
gens allait s’évanouir comme un cauchemar.
    Il adressa un vague sourire à la silhouette encapuchonnée
qui patientait dans l’antichambre. Ce n’est qu’une fois dehors, comme il
traversait de la démarche euphorique des vainqueurs l’immense place, qu’il
songea que l’individu devait avoir bien chaud, si lourdement vêtu.
    1 2 3

 
     
Forêt des Clairets, Perche, juin 1304
    La brume environnait Clément, dense et si basse qu’il voyait
à peine où il posait les pieds. Les brumes sont fréquentes dans ce coin de
terre. Agnès les trouvait poétiques. Elle affirmait que ces nappes qui
s’accrochaient aux herbes folles et aux buissons estompaient les contours trop
tranchants des choses. Mais aujourd’hui, ce voile s’alourdissait d’une
suffocante odeur de mort.
    Une myriade de mouches grises grouillait, rampait,
s’affolait sur la charogne

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