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Les chemins de la bête

Les chemins de la bête

Titel: Les chemins de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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pestilentielle. Un lambeau de chair à demi arraché
pendait de sa joue vers le sol, soulevé rythmiquement par le travail obstiné
d’une colonie de petits scarabées qui foraient une galerie sous l’os de sa
pommette. Le haut de sa cuisse et ses fesses avaient été rongés, rognés jusqu’à
l’os.
    L’enfant en laissa tomber à ses pieds le cranequin [43] qu’Agnès avait exigé qu’il emportât
avec lui dans ses courses à travers forêt afin de se protéger. Il avança encore
d’un pas, surmontant avec peine les hoquets qui ramenaient une salive amère
dans sa gorge.
    Il s’agissait d’un homme, sans doute un paysan, à en juger
par ses hardes souillées d’humeurs visqueuses et de sang séché. Il gisait sur
le côté, la face tournée vers le ciel, ses orbites vidées contemplant le soleil
au déclin. Sa peau sèche, noirâtre et tannée, surtout sur les avant-bras et les
mains, semblait s’être racornie comme sous l’effet d’un grand brasier. Avait-il
été attaqué ? S’était-il défendu ? L’avait-on brûlé pour lui dérober
quelque chose ? Quoi ? Ces gueux ne transportaient rien qui eut une
quelconque valeur. Néanmoins, Clément regarda autour de lui, scrutant les
taillis et les bosquets. Aucune trace de feu. Encore un pas, puis deux. Parvenu
à moins d’un mètre de l’homme, il se contraignit à humer. Les relents exhalés
par la chair putréfiée lui donnaient envie de vomir. Pourtant, il ne détecta
nulle odeur de bois carbonisé, de fumée. L’enfant recula vivement, plaquant une
main sur sa bouche. Il n’avait pas peur. Les morts ont ceci de dissemblable
d’avec les vivants : ils sont sans calculs et inoffensifs. D’autant que ce
qu’il voyait allongé sur l’humus ne ressemblait en rien aux descriptions de
pesteux qu’il avait lues.
    Un long bâton de marche de paysan traînait à quelques mètres
du cadavre, aux pieds de Clément. Il le ramassa afin de l’examiner. Le bois de
frêne semblait jeune. Il avait cette couleur de crème pâle d’une branche
récemment taillée. Nulle trace de sang sur le bâton. Un détail le
surprit : l’embout de métal en pointe qui le terminait et augmentait sa
prise dans le sol. Quel paysan aurait eu recours à cette onéreuse finition
quand il pouvait tailler autant de branches qu’il le voulait ? Clément
pointa le bout armé de fer vers le mort, visant sa main. Il la heurta d’un coup
sec. Le poignet se rompit partiellement et l’index se détacha, tombant au sol.
    Depuis quand le cadavre se trouvait-il dans cette minuscule
clairière, à près d’une demi-lieue de la première habitation ? Difficile à
évaluer, notamment en raison de cet épiderme racorni et brunâtre. Cependant, il
n’y avait plus de mouches bleues, en dépit du fait que la saison leur était
propice. Il contourna la pauvre dépouille et s’accroupit à un mètre. Par une
déchirure de la chemise en lin, Clément distingua une large cloque remplie
d’humeur jaunâtre qui s’étalait en haut des reins. Visant à nouveau du bout du
bâton, il la creva. Il tourna la tête à temps pour ne pas vomir sur ses braies.
Une multitude d’asticots cascada de la plaie creusée. Les mouches bleues
avaient eu le temps de pondre et les larves s’étaient développées, favorisées
par la tiédeur de la saison. L’homme devait être mort depuis une quinzaine de
jours, trois semaines tout au plus.
    Clément se redressa, pressé soudain de poursuivre son
chemin. Nul ne pouvait plus rien pour ce pauvre hère. L’enfant était bien
décidé à ne raconter sa découverte à âme qui vive, peu désireux de devoir
refaire tout ce chemin afin de guider les gens du bailli. Une incongruité le
frappa. L’homme portait les cheveux mi-longs. Jadis sans doute châtains clairs,
quoi qu’il fût ardu d’en juger maintenant qu’ils étaient collés de boue, de
détritus végétaux et de vermine. Pourtant, on apercevait encore la marque de la
petite tonsure sur le haut du crâne. La chevelure avait repoussé, pas
suffisamment toutefois pour gommer le souvenir du couteau de barbier. De qui
pouvait-il s’agir ? D’un ecclésiastique ou d’un de ces lettrés qui
requéraient la tonsure par dévotion et envie de pénitence ?
    La curiosité fut plus forte que le malaise que lui
occasionnait la proximité des restes puants. Clément vida sa musette des
croûtes de pain et des herbes qu’elle contenait et enfouit sa main droite à
l’intérieur. Protégé par ce gant

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