Les chemins de la bête
menteurs, aidé en cela par un
prodigieux talent de dissimulateur qui lui faisait renifler les calculs des
autres. L’abruti ! Que croyait-il, le petit baron ? Que Nicolas avait
besoin de justifications pour traîner quiconque devant un tribunal
inquisitoire ? L’argent lui suffisait amplement. Quant aux preuves et aux
témoignages, il était assez habile pour les forger tout seul ou pour les
susciter. Allons, le vin était bon, le baron de Larnay était le premier vrai
client d’une liste qu’il espérait longue et profitable. Les héritiers
impatients, les vassaux revanchards ou jaloux, ou encore les commerçants
furieux ou spoliés ne manquaient pas. Il pouvait perdre un peu de son temps à
écouter l’autre débiter des sornettes.
— Elle a une liaison charnelle avec un homme de Dieu
qu’elle a détourné de son sacerdoce, sans doute grâce à des moyens magiques. Il
s’agit de son jeune chapelain, un certain frère Bernard. Le pauvre fou est
subjugué par elle, au point de trahir sa foi. Ajoutez à cela qu’elle entretient
depuis des années un révoltant commerce avec un simple d’esprit qui lui est
dévoué comme un chien.
Tiens, tiens, voilà qui pouvait l’aider. Sa patience était
récompensée.
— Vraiment ? Un commerce de quel ordre ?
— Des potions, des poisons et des philtres en échange
de ses charmes.
— Avez-vous preuves ou témoignages de ce que vous
avancez ?
— Le témoignage d’une personne de grande piété qui
vécut dans le cercle de madame de Souarcy, et je gage que nous en obtiendrons
d’autres.
— Je n’en doute pas. La démonologie se confond de plus
en plus avec la chasse contre les hérétiques. La chose est fort compréhensible.
Qu’est l’adoration des démons sinon l’hérésie suprême, un impardonnable crime
contre Dieu ?
Eudes n’avait que faire de ces subtilités, il
poursuivit :
— Des morts étranges et affreuses sont survenues dans
son entourage, des moines.
— Fichtre ! Mais ces crimes de sang dépendent de
la haute justice du seigneur d’Authon et de son bailli ?
— Qui ne font pas grand-chose depuis qu’ils l’ont
rencontrée.
— Voulez-vous insinuer que cette dame aurait envoûté le
comte Artus et monsieur de Brineux ?
— Ce n’est pas exclu. Cependant, il sera plus difficile
d’en faire état, étant entendu le rang et la réputation de ces deux hommes.
— En effet.
Dès son arrivée à Alençon, Nicolas, en manipulateur avisé, avait
consacré une partie de son temps à se familiariser avec les puissants et les
influents de la région. Il était hors de question pour lui de se mettre à dos
le comte d’Authon, ami du roi, et cette réserve s’étendait à Monge de Brineux.
Il se renseigna :
— Madame de Souarcy jouirait donc d’appuis
d’importance, même si elle les obtient par des moyens démoniaques ?
demanda Florin d’une, voix douce.
Eudes comprit qu’il avait commis une erreur de tactique.
Mais l’envie de traîner Agnès dans la boue l’aveuglait. Il rectifia, trop
vivement, dans le but de rassurer l’inquisiteur :
— Ce n’est qu’une bâtarde. Pourquoi a-t-il fallu que
mon père, qui n’était pas à un près, la reconnaisse sur le tard !
Sa virulente sortie fit se redresser quelques têtes dans la
salle. Il baissa la voix :
— Elle ne possède presque rien en propre, et je doute
que le comte Artus et monsieur de Brineux la soutiennent si elle venait à être
convaincue de sorcellerie. Ce sont hommes d’honneur et de piété.
Eudes s’interrompit soudain. Un soupçon dérangeant lui
trottait dans la tête depuis un moment, mais la rancœur et la passion lui
obscurcissaient l’esprit.
— Poursuivez, je vous prie, l’encouragea Nicolas.
La voix suave de l’inquisiteur mettait Eudes mal à l’aise.
Il s’acharna pourtant :
— Enfin, et sans doute le plus grave... Seigneur
inquisiteur... Agnès de Souarcy a protégé jadis une hérétique avec une telle
amitié que l’on peut se demander si elle n’en avait pas épousé les thèses.
D’ailleurs, elle a élevé son fils posthume, qui lui est dévoué jusqu’à la mort.
Une moue gourmande plissa les belles lèvres de son
interlocuteur.
— Des détails, par pitié... Vous me faites languir.
La phrase se termina dans un soupir.
— Le registre de la chapelle ne porte aucun patronyme
pour l’enfant — Clément – ni pour sa mère — Sybille – et
nulle messe d’obsèques n’a été
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