Les chevaliers de la table ronde
avec
beaucoup de tendresse du jeune fils du roi Ban, ne pouvait s’empêcher de rire. Et,
chaque fois, Viviane lui demandait pourquoi il riait. Mais il ne répondait pas,
ce qui agaçait grandement la jeune fille. Et quand on lui apprit que la fille d’Agravadain
avait mis au monde un fils qu’on avait appelé Hector des Mares, il murmura
simplement à l’oreille de Viviane : « J’ai bien l’impression que tu
seras pour quelque chose dans la gloire qui attend ce garçon. » Et jusqu’à
la fin de leur séjour à Trèbe, il ne prononça plus une seule parole.
Ils repartirent après avoir pris congé de leur hôtesse. Lorsqu’ils
parvinrent à proximité du Lac de Diane, Merlin dit à Viviane : « Maintenant,
il faut que je parte. » Viviane manifesta son désappointement. « Merlin,
Merlin ! lui dit-elle. Que faut-il donc faire pour que tu vives toujours
avec moi ? » Il ne répondit rien, mais l’emmena sur le bord du lac.
« N’oublie pas, Viviane, que tu possèdes maintenant un manoir dont nous
sommes les seuls à connaître l’existence. Tu es maintenant la Dame du Lac. »
Viviane se mit à rêver. « Merlin ! Merlin ! Je sais bien ce que
tu veux ! Livre-moi encore un de tes secrets et je me donne à toi
entièrement, je te le jure. – Quel secret ? demanda Merlin. – Je voudrais
pouvoir, dit Viviane, édifier près d’ici une tour invisible, faite d’air, et où
ceux qui y entreraient ne pourraient plus en sortir tant que le monde sera
monde. »
Merlin se mit à rire et dit : « Tu as de la suite
dans les idées. » Puis son visage prit une grande expression de tristesse.
« La prochaine fois que je viendrai, je te dévoilerai ce secret. »
Puis, sans ajouter un mot, Merlin s’en alla sur le sentier à travers la forêt [119] .
9
Tristan et Yseult
Il ne mit pas longtemps à gagner la côte. De là, il prit un
navire et débarqua bientôt sous la forteresse de Tintagel. Il eut un serrement
de cœur en revoyant ce promontoire battu par le vent et les vagues de la mer, avec
ses murailles qui épousaient le contour des falaises. Il se revoyait, gravissant
le sentier qui menait à la poterne, en compagnie d’Uther Pendragon et d’Urfin, quand
ils allaient accomplir ce qu’il fallait accomplir, accoupler le roi Uther avec
la duchesse Ygerne pour que naquît un roi. Mais Tintagel n’était plus à la
reine Ygerne. Tintagel était devenu possession du roi Mark, et c’est là qu’il
résidait, en compagnie de sa femme, la belle Yseult, et de son neveu, le preux Tristan
de Lyonesse, le fils de sa sœur, qu’il avait désigné comme son héritier.
Il grimpa jusqu’à la forteresse où il entra sans même avoir
été remarqué par les gardes. Tout, à l’intérieur des remparts, offrait un
spectacle d’abandon et de désolation. Personne ne le reconnut parmi tous ceux, chevaliers,
écuyers ou serviteurs, qui passaient et repassaient dans les ruelles. À force
de rôder, Merlin comprit que rien n’allait plus dans le royaume de Mark. Depuis
tant d’années, son épouse, la reine Yseult, le bafouait avec son neveu Tristan :
il fallait bien qu’un jour les deux amants se fussent fait prendre en flagrant
délit par le mari outragé. Et cela n’avait pas été si simple.
En effet, Tristan et Yseult avaient réussi, à force d’adresse
et de mensonges, à écarter tous les soupçons qui pesaient sur eux. Mais la
jalousie des barons de Mark avait été la plus forte : ils avaient averti
le roi, tendu un piège à Tristan, et ils l’avaient maîtrisé alors qu’il se
trouvait sans défense dans le lit de la reine. Car, pour rien au monde, ils n’auraient
voulu se battre contre Tristan : celui-ci avait un redoutable privilège, à
savoir que tous ceux qu’il blessait, même légèrement, avec son épée, mouraient,
et que tous ceux qui lui infligeaient la moindre blessure mouraient également. Et
le roi Mark le savait mieux que personne. C’est pourquoi il avait condamné les
deux amants à être brûlés sur un bûcher.
Mais, après de nombreuses péripéties, Tristan s’était
échappé en sautant par la fenêtre d’une chapelle qui donnait sur le rivage, et
il avait libéré Yseult que Mark avait préféré livrer à une troupe d’horribles
lépreux. Et tous deux, en compagnie de Gorvenal, écuyer de Tristan, et de
Brengwain, suivante d’Yseult, étaient allés se réfugier dans la forêt de Morois
où ils menaient une vie rude et difficile, s’efforçant
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