Les chevaliers de la table ronde
Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie. Les deux rois
prirent Yseult par la main et la conduisirent où elle devait prononcer le
serment. Le roi Arthur lui dit : « Reine Yseult, écoute-moi bien et
sache ce que nous désirons de toi. Nous demandons que tu jures, par le saint
nom de Dieu, la main étendue sur les reliques des saints, que Tristan n’a
jamais touché à ton corps et n’a eu aucun amour autre que celui, parfaitement
légitime, qu’un neveu doit porter à la femme de son oncle. » Yseult s’avança
vers les reliques, étendit sa main droite et, sans hésiter, dit à très haute
voix : « Seigneurs, je jure, par le saint nom de Dieu et sur les
saintes reliques, que jamais homme ne se mit entre mes jambes, hormis le ladre
qui se fit bête de somme pour me porter à travers le Mal Pas, et le roi Mark, mon
époux. J’ai dit la vérité, et si l’on juge que je dois subir l’épreuve du fer
rouge, je suis prête ! »
Il y eut alors un grand silence. Personne, dans l’assemblée,
ne se leva pour apporter la moindre contradiction. Alors le roi Arthur dit :
« L’affaire est désormais jugée. La reine Yseult a juré que nul n’entra
entre ses cuisses que le mendiant qui l’a portée sous nos yeux, tout à l’heure,
à travers le Mal Pas, et le roi Mark son époux selon les lois de la sainte Église.
Malheur à ceux qui contesteraient ce jugement, car ils seraient déclarés félons
et mécréants !
La foule commença à se disperser en commentant l’événement.
Ainsi était rétablie la paix entre le roi Mark et son neveu Tristan. Ainsi
étaient rejetées les accusations portées contre la reine par les barons envieux.
Merlin rôdait à travers la Blanche Lande, tout songeur, sachant très bien que
ce serment n’empêcherait nullement Yseult de rejoindre Tristan la nuit prochaine,
car c’était une des particularités de Tristan de ne pouvoir vivre plus d’un
mois sans avoir de rapport physique avec Yseult [121] .
Mais après tout, Yseult, lorsqu’elle avait prononcé le serment, n’avait fait
que dire la vérité : ce n’était pas sa faute si ceux qui se trouvaient là
n’avaient pas reconnu Tristan sous les traits boursouflés du mendiant lépreux…
Il en était là de ses réflexions quand il entendit une voix
de femme derrière lui : « Bien joué, Merlin ! » Il se
retourna. Morgane était là, aussi altière, aussi troublante, avec son sourire
ambigu qui faisait rêver tant d’hommes. Merlin se mit à rire et répondit :
« Tu te trompes, Morgane, ce n’est pas mon jeu, mais le jeu de la reine
Yseult, car : femme est plus rusée que le diable ! Tu le sais aussi bien que moi. » Morgane haussa les épaules. « À quoi
bon toute cette comédie ? demanda-t-elle. – À distraire les pauvres
humains », répondit tristement Merlin. Et il s’éloigna dans le vent [122] .
10
Le Fier Baiser
Merlin avait rejoint le roi Arthur à Kaerlion sur Wysg. Il y
avait grande assemblée dans la forteresse, et de nombreux compagnons de la
Table Ronde s’y étaient rendus pour raconter les événements dont ils avaient
été les témoins ou les héros. Après avoir entendu les bardes et les musiciens, on
passa à table et Kaï fit crier l’eau. Les compagnons se lavèrent les mains, puis
s’assirent chacun à sa place. Bedwyr prit la coupe d’or que le roi avait
coutume de porter à ses lèvres en hommage à ses barons et la tendit à Arthur, pendant
que Kaï faisait assurer le service des mets. C’est alors qu’un jeune homme
pénétra dans la salle sur son destrier. Il portait un bouclier d’azur à lion d’hermine.
Il s’avança vers le roi, le salua ainsi que tous ceux qui l’entouraient et
parla ainsi : « Arthur, je suis venu à ta cour, persuadé que tu
voudras bien m’octroyer le don que je vais te demander. – Qu’il en soit ainsi, répondit
Arthur. Quel est le don que tu voudrais te voir accorder ? – Je te le
dirai en temps utile », répondit l’inconnu.
Les valets vinrent le désarmer. Gauvain lui apporta un manteau
de prix et lui fit prendre place à la table. « Ce jeune homme me paraît
digne d’être parmi nous, dit le roi à Bedwyr. Va donc lui demander son nom. »
Bedwyr fit ce que le roi lui avait commandé. « Seigneur, répondit le jeune
homme, je ne saurais répondre à ta question. Ma mère m’appelait « Beau
Fils », et je n’ai jamais connu mon père. » Bedwyr retourna auprès du
roi. « Alors, qui est-il ? »
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