Les chevaliers de la table ronde
mon commandement, et si tu le
veux, je serai ton prisonnier ! »
Le Bel Inconnu lui répondit : « Je te ferai grâce
si tu te rends de ma part à la cour du roi Arthur ! » Bliobléris
donna sa parole qu’il ne chercherait pas à s’échapper et qu’il se rendrait sans
tarder devant le roi Arthur. Quant au nain, il prit à part la jeune fille et
lui dit : « Tu as grand tort de mépriser le Bel Inconnu. Il ne mérite
pas de blâme et son courage est grand. Que Dieu le maintienne en force et en
joie afin que nous éprouvions longtemps les effets de sa valeur. – Il a bien
agi, dit la jeune fille. Mais sache que s’il persiste à nous suivre, il sera
fatalement tué. Ce sera grand dommage, car c’est un jeune homme très vaillant. »
Mais le Bel Inconnu, qui l’avait entendue, lui répéta que pour rien au monde il
ne reviendrait sur ses pas. Puis, comme la nuit commençait à tomber, Hélie
reprit son chemin en compagnie du nain, tandis que le Bel Inconnu la suivait
avec son écuyer.
Cependant, Bliobléris était gravement blessé, et très
affaibli par le sang qu’il avait perdu. Ses deux valets le transportèrent à l’intérieur
de la loge et le soignèrent de leur mieux. Et quand la nuit fut complète ;
trois des vassaux de Bliobléris, qui avaient noms Hélin, Graelent et Salebran, vinrent
à passer au Gué Périlleux. Quand ils virent leur seigneur en si piteux état, ils
menèrent grand deuil. Bliobléris leur dit : « Ne vous affligez pas, mais
pensez plutôt à me venger. Un chevalier est passé par ici, et jamais vous ne
verrez meilleur combattant que lui. Il m’a vaincu. Je suis prisonnier et j’ai
donné ma parole de me présenter devant le roi Arthur. Il menait avec lui un
écuyer et une belle jeune fille dont un nain conduisait le palefroi. Il se
nomme, paraît-il, le Bel Inconnu. Pourchassez-le, mes compagnons, je vous en
prie. Tuez-le ou faites-le prisonnier. » Ainsi parla Bliobléris, et ses
vassaux répondirent : « N’aie aucun souci à ce sujet. Si nous pouvons
le retrouver, rien ne nous empêchera de le tuer ou de le faire prisonnier ! »
Et, là-dessus, ils tournèrent bride et galopèrent dans la nuit.
Quant à Hélie et au Bel Inconnu, ils avaient poursuivi leur
chemin jusqu’au moment où la fatigue les obligea à prendre du repos. Ils s’étendirent
dans une prairie, et s’endormirent profondément. Mais, sur le matin, le Bel
Inconnu s’éveilla, car son oreille avait été heurtée par un cri qui provenait
de la forêt. La voix était douce et gémissante, et par instants elle éclatait
en appels déchirants. Le Bel Inconnu prit par la main Hélie qui dormait encore,
allongée dans l’herbe verte. « Entends-tu ces cris ? lui demanda-t-il.
– Peu m’importe ! répondit-elle. Laisse-moi dormir ! – Cette voix
appelle au secours, reprit le Bel Inconnu, et je ne peux pas rester ainsi sans
en connaître la raison ! – Tu n’iras pas ! s’écria Hélie. Tu cherches
donc à tout prix les aventures ? Avant que tu aies trouvé ma dame, tu
auras fait plus de mauvaises rencontres que tu ne l’auras voulu, et il te
faudra durement souffrir. Es-tu fou pour te mêler de ce qui ne te regarde pas ?
– Quoi que tu en penses, répondit le Bel Inconnu, j’irai voir ce qui se passe
là-bas ! »
Le Bel Inconnu revêtit ses armes et enfourcha son cheval. Hélie,
qui ne voulait pas rester seule, reprit elle-même son palefroi, et, accompagnée
du nain, elle suivit la direction prise par le Bel Inconnu. À mesure qu’ils
avançaient, la voix se faisait plus nette et ils l’entendaient distinctement. Puis,
à l’entrée d’une clairière, ils aperçurent un vaste feu devant lequel étaient
assis deux géants hideux et effroyables. L’un d’eux tenait entre ses bras une
jeune fille merveilleusement belle. Folle de terreur, elle pleurait et se
débattait. L’autre géant, assis en face, rôtissait tranquillement des viandes
et tisonnait avec une pointe de fer le feu qui luisait. Et il déclarait qu’il
mangerait tout de suite après que son compagnon aurait fait sa volonté de la
jeune fille.
Le Bel Inconnu se prépara. Hélie lui dit à voix basse :
« Veux-tu donc mourir ? Tu ne sais pas qui sont ces géants ! Ne
sais-tu pas qu’ils ont dévasté tout le pays ? Il n’y a, à douze lieues à
la ronde, aucune maison qu’ils n’aient pillée ! Toute cette contrée est
entre leurs mains. Ne va pas les combattre, je te prie, et fuyons ces
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