Les chevaliers de la table ronde
toi, jeune fille ! répondit-il. – Par Celui qui
forma le ciel, la terre et les étoiles, cela ne sera pas ainsi ! s’écria
la jeune fille. Jamais tu ne m’accompagneras de mon plein gré ! Tu es trop
jeune et tu ne pourras pas endurer les terribles épreuves que ma dame attend de
son sauveur. Jamais tu ne sauras venir à bout des périls qui se présenteront à
toi. Retourne à la cour de ton roi et aide-le à surmonter sa honte ! – Jamais,
je le jure sur mon salut éternel, je ne retournerai à la cour du roi Arthur
avant d’avoir mené à terme la mission qu’il m’a octroyée devant tous ses
compagnons ! » répondit le Bel Inconnu. La demoiselle Hélie piqua des
deux sans ajouter un mot. Mais le Bel Inconnu la suivit à distance.
Ils chevauchèrent à grande allure et ils parcoururent tant
de lieues qu’ils arrivèrent à un passage qu’on appelait le Gué Périlleux. Ils
aperçurent, de l’autre côté d’une rivière, au milieu d’un pré, une belle loge
galloise [123] faite de rameaux verts.
Un bouclier au chef d’or et à la pointe d’argent était pendu sur la porte. Là
demeurait un chevalier cruel et redoutable qui avait tué maints voyageurs en
combat singulier. Il avait nom Bliobléris. Il jouait aux échecs avec ses deux
valets devant sa loge, quand il aperçut Hélie et ceux qui l’accompagnaient. Il
demanda immédiatement ses armes et son cheval. Les deux valets se hâtèrent de
lui obéir, apportant les chausses de fer de leur maître. Bliobléris se leva, laça
son heaume, et se vêtit de son haubert qu’il recouvrit d’une cotte de soie d’outre-mer.
Il sauta sur son destrier, prit son bouclier, appuya sa lance contre l’encolure
du cheval et s’apprêta à défendre le gué. La jeune fille vit bien que ses
intentions étaient hostiles et qu’il voulait à tout prix empêcher quiconque de
traverser le gué. Elle se retourna vers le Bel Inconnu : « Vassal, dit-elle,
regarde ce chevalier qui s’avance tout armé sur son destrier. Ne me suis plus, car
ce serait pure folie. Tu aurais dure bataille et cela te conduirait à ta fin !
– Jeune fille, répondit le Bel Inconnu, pour rien au monde je ne retournerai
sur mes pas. Je poursuivrai mon chemin, et si ce chevalier veut se battre, je
répondrai à sa provocation. S’il désire vraiment la bataille, il l’aura ! »
Il prit son bouclier et sa lance des mains de son écuyer.
Il passa l’eau et s’arrêta au bord du pré. Bliobléris lui
cria : « Imprudent ! tu as fait grande folie en franchissant ce
gué ! Ce sera pour ton malheur, crois-le bien ! Je te le ferai payer
cher, car nul ne franchit ce passage sans que bataille ne soit donnée ! – Seigneur,
dit calmement le Bel Inconnu, nous n’avons aucune intention belliqueuse envers
toi. Laisse-nous aller, je te prie, car nous n’avons pas le temps de nous attarder.
Le roi Arthur nous envoie secourir une dame de très haut rang, et cette jeune
fille, qui est sa suivante, me conduit vers elle. Et que Dieu nous protège, toi
et moi.
— Sans bataille, tu ne passeras jamais ce gué ! s’écria
Bliobléris. Tel est l’usage que je tiens de mes pères. Moi-même, depuis plus de
sept ans, je monte la garde en cet endroit et j’ai déjà tué plus d’un chevalier
de valeur qui s’obstinait à vouloir passer outre ! – C’est un métier de
brigand [124] ! dit le Bel
Inconnu. Mais puisqu’il en est ainsi, je ne parlerai pas davantage. En garde !
et je défendrai ma vie jusqu’au dernier souffle ! » Ils s’éloignèrent
l’un de l’autre, puis, se faisant face, ils se précipitèrent l’un sur l’autre
de toute la vitesse de leurs chevaux. Bliobléris, d’un coup de sa lance qui
vola en éclats, rompit le bouclier du Bel Inconnu. Mais celui-ci tint bon sur
son cheval. Il perça à son tour le bouclier de son adversaire et lui enfonça
son fer tranchant à travers les mailles du haubert. Bliobléris vida les étriers
et tomba sur les paumes. Il se releva cependant et mit la main à l’épée, la brandissant
ensuite d’un tel emportement que peu s’en fallut qu’il ne mît à mal le Bel Inconnu.
Celui-ci fit un saut de côté, sauta à terre et tous deux continuèrent à
combattre à pied. Ils se donnèrent de tels coups sur les heaumes que des
étincelles en jaillirent. Mais, à la fin, Bliobléris, perdant son sang, tomba
sur ses genoux en s’écriant : « Pour Dieu, ne me tue pas ! Je
ferai ta volonté ! Tu passeras l’eau par
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