Les chevaliers de la table ronde
semblait
fort triste et découragée. Elle était d’une beauté admirable : son front
était large, son visage riant et coloré comme la rose au temps d’été, et blanc
comme la fleur de lis, avec de beaux sourcils noirs, merveilleusement fins, de
petites dents, des yeux brillants et des mains douces et agiles. Elle était
vêtue d’une robe de soie bordée de duvet délicat ; et ses cheveux, au fur
et à mesure qu’elle chevauchait, se déroulaient avec élégance sur ses épaules
parfaites. Mais quand elle se fut approchée, ils virent tous que la jeune fille
pleurait et se tordait les mains de désespoir. « Pourquoi pleures-tu ainsi,
jeune fille ? » demanda le Bel Inconnu.
Voici ce qu’elle répondit : « Je pleure parce que
j’ai perdu aujourd’hui l’être au monde auquel je tenais le plus. Mon ami vient
d’être tué et je ne me consolerai jamais. C’est un chevalier qui l’a tué, un
chevalier plein d’orgueil et de cruauté. C’est le maître de cette forteresse. Dans
la ville, il y a un épervier très beau et bien mué, et qui vaut un trésor. Le
seigneur l’a fait mettre au milieu d’un verger, sur une perche d’or, et il a
été convenu que la femme qui prendrait l’épervier sur son perchoir obtiendrait
le prix de la beauté. Mais toutes celles qui voulaient y concourir devaient
amener avec elles un chevalier pour soutenir leur prétention. Le seigneur de
cette ville qui relevait le défi combattait le chevalier. Or, j’ai eu l’audace
de prétendre à ce prix de beauté. Le seigneur a combattu mon ami que j’aimais
tant, et il l’a tué. Je crois que j’en mourrai de douleur !
— Belle amie, dit le Bel Inconnu, je pense que tu
saurais gré à celui qui te rendrait cet épervier et qui vengerait ton ami ?
– Assurément ! répondit-elle. – Alors, viens avec moi, et l’oiseau te sera
rendu ! »
Ils entrèrent dans la ville, passèrent les lices et le pont,
et ils allèrent tout droit vers le verger où se trouvait l’épervier. Une foule
de gens les suivaient, chacun se demandant ce qui allait se passer, les uns
craignant la mort du chevalier inconnu, les autres souhaitant que le seigneur
du lieu manifestât encore une fois son courage et son autorité. Ils arrivèrent
alors au verger : la place était belle et plaisante. Au milieu était
planté un arbre qui était toujours fleuri, et à une portée d’arc se trouvait le
perchoir où l’épervier était posé.
Le Bel Inconnu prit la main de la jeune fille. « Avance,
belle amie, lui dit-il, et viens recevoir le prix de la beauté qui, je le
soutiendrai contre quiconque, doit appartenir à toi seule ! » La
jeune fille vint à l’épervier et lui ôta le lacet qui le retenait. C’est à ce
moment que le seigneur se présenta. Il montait un cheval ferré de grand prix
que couvrait une étoffe décorée de roses vermeilles. Il portait un bouclier d’argent
aux roses de sinople, et sur le heaume, qu’il avait magnifique, était une
couronne de roses. Il se précipita, la lance levée, sur le Bel Inconnu, et, à
haute voix, il lui fit défense de prendre l’épervier. « Pourquoi l’épervier
ne serait-il pas à cette jeune fille ? répondit le Bel Inconnu. Je n’en
connais pas de plus belle. – Je te prouverai le contraire », cria le
seigneur.
Les deux hommes s’éloignèrent et, brochant leurs montures, ils
se lancèrent l’un contre l’autre. Les boucliers craquèrent, les sangles furent
rompues. Ils se retrouvèrent à pied et tirèrent leur épée. Longtemps, ils se
battirent ainsi avec rage et frénésie, jusqu’au moment où le Bel Inconnu fit
trébucher son adversaire et posa la pointe de son épée sur son cou. « Je
demande grâce, dit le vaincu, et je me reconnaîtrai ton homme lige. » Le
Bel Inconnu retira son épée en disant : « Je te fais grâce à
condition que tu ailles te présenter devant le roi Arthur et que tu lui racontes
comment le Bel Inconnu t’a fait prisonnier !
— Seigneur, sur mon âme, je me présenterai devant le
roi Arthur et je dirai que tu m’as vaincu en combat loyal. Sache que je suis
compagnon de la Table Ronde et que je ne peux faillir à un serment. Je suis
Girflet, fils de Dôn, et je rendrai témoignage devant tous que tu es le
meilleur chevalier que j’aie jamais combattu. » Et les deux hommes se
donnèrent l’accolade. Girflet emmena le Bel Inconnu dans son logis et l’hébergea
pour la nuit avec la meilleure grâce.
Le
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