Les chevaliers de la table ronde
alentours, souhaitant ardemment que Mauger le Gris fût vaincu et déconfit. Quant
à la dame de l’Île d’Or, elle ne le désirait pas moins, et elle s’était mise à
la fenêtre, entourée de ses suivantes, pour regarder la bataille. Elle ne dura
guère, bien qu’elle fût âpre et violente. Mais le Bel Inconnu trancha les lacets
du heaume de Mauger. Le heaume tomba à terre, découvrant le visage du chevalier.
Et, d’un seul coup d’épée, le Bel Inconnu lui fendit la tête jusqu’aux dents. Les
gens crièrent de joie tout autour. Un écuyer amena un cheval tout blanc au Bel
Inconnu. Quand il y fut monté, on le conduisit jusqu’à la forteresse où il fut
reçu en grand honneur par tous les barons de l’Île d’Or. Et il vit la Pucelle
aux Blanches Mains.
Lorsqu’elle entra dans la salle, elle était plus brillante
que la lune lorsqu’elle surgit des nuages. Le Bel Inconnu sentit ses genoux se
dérober sous lui quand il se trouva face à face avec elle, tant elle était
belle et désirable, avec des yeux gris très amoureux, une bouche riante et
vermeille prometteuse de baisers, une gorge ronde et pleine, une chevelure
dorée rejetée en arrière et couronnée de roses. Elle mit ses bras au cou du Bel
Inconnu : « Tu m’as vaincue, mon ami, dit-elle, et je serai tienne
sans plus attendre. L’usage est ici de garder la chaussée de l’Île d’Or, mais
je te dispenserai de ce service. Je fais de toi mon seigneur et mari, je te
donne ma terre et mon amour. »
Et la Pucelle aux Blanches Mains fit clamer par tout le pays
qu’elle épouserait une semaine plus tard le Bel Inconnu. La rumeur s’en
répandit très vite dans la cité et aux alentours, et les habitants en eurent
très grande joie. Mais la Pucelle était inquiète, car elle se demandait bien
comment elle allait pouvoir retenir le Bel Inconnu auprès d’elle. Pourtant, elle
n’en laissait rien paraître, se montrant affable et enjouée, mais n’en pensant
pas moins à faire usage de sa magie. Le soir, elle fit servir un grand repas
pour fêter l’événement. Le Bel Inconnu avait pris place sur un siège de prix, à
la droite de la dame, tandis qu’Hélie se trouvait à sa gauche.
Quand ils eurent mangé à loisir, Hélie se leva de table et
prit le Bel Inconnu à part : « Seigneur, lui dit-elle, la Pucelle
veut te prendre pour mari, et si tu n’es pas vigilant, elle te retiendra ici
pour longtemps. Je voudrais que tu n’oublies pas ma dame pour autant. – Je n’oublie
rien, belle amie, répondit le Bel Inconnu, mais je ne sais trop comment faire. As-tu
une idée à ce sujet ? – Oui, dit Hélie. Cette nuit, je préparerai
secrètement notre départ, car je loge dans un hôtel qui est au milieu de la
ville. Ton écuyer harnachera ton cheval et nous t’attendrons devant la porte de
la chapelle. Tu diras au portier que tu veux aller prier et il te laissera
passer sans défiance. »
Ayant ainsi mis les choses au point, Hélie prit congé de son
hôtesse et s’en alla en son hôtel en compagnie de l’écuyer qui emportait les
armes de son maître. Les servantes de la Pucelle préparèrent le lit de l’hôte. Sur
le lit qui était tout doré et magnifique et valait bien cent marcs d’argent, elles
déposèrent des couettes douces et molles et un beau drap de soie. Les valets
allumèrent un grand feu dans la chambre, afin de l’éclairer, et ils se
retirèrent. Alors la dame vint souhaiter le bonsoir au Bel Inconnu. Elle portait
un manteau d’étoffe précieuse verte à franges d’or, et par-dessous une chemise
blanche comme la neige sur les rameaux, mais qui paraissait brune à côté des
jambes nues. Rejetant son manteau, elle découvrit son visage et son sein, et
accola doucement le Bel Inconnu. Ses cheveux dénoués tombèrent en flots d’or et
se répandirent sur le corps du Bel Inconnu. Il voulut prendre un baiser à la
Pucelle. « Non, dit-elle, ce serait paillardise : pas avant que nous
soyons mariés. » Le Bel Inconnu n’insista pas, et pourtant, il avait grand
désir de prendre la Pucelle dans ses bras et de l’étendre à côté de lui.
« Écoute encore, dit la dame. Apprends quelle est ma fantaisie : si
je t’appelle, au milieu de la nuit, ne viens pas. Mais si je te dis de ne pas
venir, alors viens. Fais toujours le contraire de ce que je dirai ! »
Là-dessus, elle se retira, laissant le Bel Inconnu seul dans la chambre, en
proie à bien des perplexités.
Il essaya de dormir, mais au
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