Les chevaliers de la table ronde
sorte
qu’il lui fut impossible de continuer plus longtemps à lutter. Quant au
troisième, quand il se vit jeté à bas de sa monture et en grand danger d’être
tué, il demanda merci. « Si tu veux la vie sauve, lui dit le Bel Inconnu, jure-moi
de te présenter au roi Arthur. » L’autre lui en fit le serment.
Et tandis qu’il se relevait, tout dolent, le Bel Inconnu lui
demanda qui il était, ce qu’il faisait de son état et quels étaient ses
compagnons. « Je te dirai toute la vérité, répondit-il. Je suis Graelent, seigneur
des Haies. Celui que tu as blessé se nomme Salebran et celui que tu as tué est
Hélin. Tous trois nous sommes les hommes liges du seigneur Bliobléris, qui
garde le Gué Périlleux. Et c’était pour venger sa défaite qu’il nous a envoyés
te combattre. Je le regrette amèrement, car tu es si bon chevalier qu’il n’est
pas possible de te vaincre. » Le seigneur des Haies s’en alla alors, en
emportant son compagnon blessé, et il emmena avec lui la jeune Clarie pour la
guider vers la maison de son père. Le seigneur des Haies promit au Bel Inconnu
qu’il se rendrait à la cour du roi Arthur et qu’il y raconterait les événements
auxquels il avait pris part pour son malheur. Cela étant fait, Hélie, le Bel
Inconnu, le nain et l’écuyer se remirent en route.
Ils se trouvaient à peine dans la forêt qu’ils virent devant
eux un cerf traverser le chemin. Il était armé de seize bois et courait à
perdre haleine, poursuivi par une meute de brachets qui sautaient et aboyaient.
L’un d’eux, à peine plus grand qu’une petite hermine, passa auprès d’Hélie et s’arrêta
au milieu du sentier. Il avait une épine au pied. Il était fort joli, blanc
comme neige, avec les oreilles noires, et sur le flanc droit une tache
également noire. La jeune fille le trouva si beau qu’elle décida de s’en emparer :
elle en ferait don à sa dame. Elle descendit de son palefroi, saisit le petit
chien, lui ôta l’épine qui le faisait souffrir et, le gardant contre elle, remonta
en selle. Mais l’un des veneurs qui passaient avait vu son geste. Il s’arrêta
devant la jeune fille et lui dit : « Belle amie, laisse mon chien, je
te prie ! » Hélie lui répondit que ce chien lui faisait trop envie et
qu’elle voulait le garder afin de l’offrir à sa dame. « Tu n’as aucun
droit sur ce chien ! » s’écria le veneur. Mais comme Hélie ne voulait
rien entendre, le veneur alla se plaindre au Bel Inconnu. Celui-ci demanda à
Hélie de rendre le brachet, mais elle s’y refusa obstinément, à tel point que
le Bel Inconnu n’insista pas ; mais le veneur se rendit en grande hâte
auprès de son maître afin de lui raconter ce qui venait d’arriver. Le maître
était un preux chevalier de haut parage. Il possédait dans la forêt un manoir
où il séjournait souvent. Quand il apprit la nouvelle, il devint furieux, prit
ses armes et se précipita vers le Bel Inconnu. « Fais-moi rendre le
brachet que cette fille a dérobé ! hurla-t-il. – Je ne peux rien contre la
volonté de cette fille ! » riposta le Bel Inconnu. L’autre lui lança
alors son défi. Ils se mirent en garde et se heurtèrent violemment. Mais après
avoir combattu vaillamment, le chevalier se retrouva par terre, sans épée. Il
demanda grâce.
« Je te l’accorde bien volontiers, répondit le Bel
Inconnu, à condition que tu te rendes à la cour du roi Arthur et que tu t’y
présentes comme le prisonnier du Bel Inconnu. » Le vaincu engagea sa foi.
« Maintenant que tu sais mon nom, reprit le Bel Inconnu, je te demande de
me dire le tien. – On m’appelle l’Orgueilleux de la Lande », répondit le
chevalier. Ils prirent congé l’un de l’autre et le Bel Inconnu reprit sa route
avec ses compagnons, et surtout la jeune Hélie qui se réjouissait fort de cette
aventure.
Quand le soir tomba, ils sortirent de la forêt et se
trouvèrent en face d’une vaste forteresse. Une rivière la contournait, claire
et poissonneuse, et sur laquelle voguaient des bateaux. Par là venaient les
marchandises de toutes sortes, et le passage rapportait beaucoup. On voyait
également sur les rives plusieurs moulins, des prés et des entrepôts pour
engranger les récoltes, tandis que de l’autre côté s’étendaient des vignes sur
la longueur de deux lieues. Le Bel Inconnu s’arrêta pour contempler ce
spectacle qui l’enchantait.
Alors apparut une jeune fille, montée sur une mule, qui
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