Les chevaliers de la table ronde
s’écria l’un des compagnons, c’est
le roi Arthur lui-même qui t’a dit cela et à qui tu as donné la tête ! Mais
tu sais bien que nous n’avons pas le pouvoir de l’attaquer, ni lui ni quiconque,
dès lors qu’il a franchi la barrière. Mais comme tu l’as laissé partir alors qu’il
était tout près de nous, tu vas le payer de ta vie ! » Aussitôt, ils
se précipitèrent sur lui, le tuèrent et le mirent en pièces. Et chacun d’eux
emporta un morceau de son corps, comme ils l’avaient fait avec le chevalier
noir.
Cependant, une fois passé la barrière, le roi s’en alla vers
la jeune fille qui l’attendait et lui présenta la tête de son adversaire.
« Grand merci, seigneur, dit-elle. Tu peux maintenant descendre de cheval.
Tu n’as rien à craindre de ce côté-ci de la barrière [28] . »
Le roi mit aussitôt pied à terre. La jeune fille reprit : « Maintenant,
tu vas ôter ton haubert afin que je panse la blessure que tu as reçue au bras. Il
n’y a que moi qui puisse te guérir. » Le roi enleva sa cotte de mailles. Alors,
la jeune fille recueillit le sang qui coulait encore de la tête du chevalier, puis
en fit un pansement sur la plaie. Elle demanda ensuite au roi de remettre son
haubert. « Seigneur, dit-elle encore, tu avais été blessé par ce chevalier
noir, et seul le sang de celui-ci pouvait fermer ta plaie [29] .
Et c’est parce qu’ils savaient que tu étais blessé que ses compagnons
emportaient les membres et la tête de leur compagnon : ils ne voulaient
pas que tu sortisses indemne de cette aventure. Non, ne pose pas de questions. Va
ton chemin, maintenant que tu as accompli l’épreuve… » Et la jeune fille
disparut, laissant le roi à sa perplexité [30] .
Après s’être reposé au pied d’un arbre, Arthur, qui ne
sentait plus aucune douleur à son bras blessé, remonta sur son cheval et prit
le chemin du retour. En arrivant à Kaerlion, la première personne qu’il
rencontra fut Merlin. Celui-ci ne lui dit rien et se contenta de ricaner au
passage du roi. Furieux, Arthur se précipita à son logis. On lui apprit alors
que l’un des chefs bretons, du nom de Drutwas, était venu, en son absence, lui
lancer un défi. Ce Drutwas, fils de Tryffyn, était le chef d’une de ces tribus
du Nord qui avaient donné tant de soucis à Uther Pendragon à cause de leur indiscipline
et de leur prétention à n’agir que dans leur seul intérêt, ce qui avait
provoqué bien des conflits meurtriers. Or Drutwas était l’ami d’une femme qu’il
avait rencontrée dans une forêt, et qui était une magicienne. Elle était tombée
amoureuse de lui et lui avait donné trois oiseaux merveilleux qui avaient la
particularité de comprendre le langage des humains et de faire tout ce qu’on
leur ordonnait. Drutwas les avait souvent emmenés au combat et s’était servi d’eux
comme de précieux auxiliaires. Il suffisait en effet qu’il leur ordonnât de se
précipiter contre un ennemi pour que les oiseaux attaquassent l’homme désigné
jusqu’à le tuer à coups de griffes et de bec. Aussi l’orgueil de Drutwas ne
connaissait-il plus de bornes. Il était venu signifier à Arthur que lui-même, bien
que de basse extraction, était aussi capable d’être roi que le fils d’Uther Pendragon.
Et il avait conclu son défi en fixant un lieu, un jour et une heure où Arthur
et lui se rencontreraient, sans aucun témoin, pour combattre l’un contre l’autre.
Si Drutwas était vainqueur, il devrait être reconnu comme roi de toute la
Bretagne. Dans le cas contraire, Drutwas rendrait publiquement hommage à son
vainqueur.
Arthur ne pouvait pas ne pas relever un tel défi, et il fit
savoir à Drutwas qu’il se rendrait, seul, au rendez-vous fixé. Mais Drutwas, qui
était plein de ruse et de perversité, avait son plan : au lieu d’aller sur
le lieu de la rencontre, il avait décidé d’envoyer ses oiseaux après leur avoir
ordonné de tuer le premier homme qui se présenterait. Ainsi était-il certain d’être
vainqueur. Or Drutwas avait une sœur, et cette sœur était depuis fort longtemps
amoureuse d’Arthur.
Dès qu’elle eut connaissance du piège qu’avait tendu Drutwas
au roi, et sans aucunement dévoiler quoi que ce fût, elle envoya un messager
vers Arthur pour lui fixer un rendez-vous d’amour en un autre lieu et quelques
heures avant la rencontre avec Drutwas. Arthur pensait bien avoir le temps d’honorer
les deux engagements. Il se rendit donc
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