Les chevaliers de la table ronde
nez. Ils s’écartèrent l’un de l’autre pour reprendre haleine. Le roi regardait
avec étonnement la lance qui brûlait et se demandait comment elle n’avait pas
été brisée par la violence du coup. Il n’était pas loin de penser qu’il avait
affaire à un démon tout droit surgi de l’enfer. Mais le chevalier noir ne
semblait pas avoir l’intention de s’en tenir là : il se précipita sur le
roi de tout son élan. Le voyant venir, Arthur se protégea de son bouclier, craignant
l’ardeur de la lance, et reçut son adversaire sur le fer de sa propre lance, le
frappant en pleine poitrine si violemment qu’il le renversa sur la croupe de
son cheval. Le chevalier, qui était un rude combattant, se rétablit sur ses
arçons et frappa le roi juste sur la bosse de son bouclier. Le fer brûlant de
la lance traversa le bois, puis le haubert, et pénétra dans le bras du roi. Sous
la douleur de la blessure et de la brûlure, Arthur fut saisi d’une grande rage.
Mais alors, le chevalier noir retira la lance et manifesta une grande joie
quand il s’aperçut qu’il avait blessé le roi. Celui-ci, quand il regarda la
lance du chevalier noir, fut extrêmement surpris de voir qu’elle ne brûlait
plus.
« Seigneur, dit le chevalier noir, je te demande grâce !
Jamais ma lance n’aurait cessé de brûler si elle n’avait pas été plongée dans
ton sang ! – Que Dieu me damne ! s’écria le roi. Il n’est pas
question que je te fasse grâce, puisque je peux être vainqueur ! » Et,
sans plus attendre, le roi piqua des deux et frappa son adversaire en pleine
poitrine. Puis il retira sa lance, contempla le chevalier noir qui gisait sur
le sol, mort, et, l’abandonnant au milieu de la clairière, il se dirigea vers
la barrière.
À ce moment, il entendit un grand vacarme. Une troupe de
cavaliers – ils étaient peut-être une vingtaine – débouchèrent de la forêt et
se rassemblèrent autour du chevalier qui était étendu. Le roi atteignit la
barrière, et il allait la franchir lorsque la jeune fille courut derrière lui
en criant : « Seigneur ! pour l’amour de Dieu, retourne sur tes
pas et apporte-moi la tête du chevalier qui gît là-bas ! » Arthur se
retourna et mesura le péril qui l’attendait s’il se retrouvait au milieu des
chevaliers. « Ma parole, dit-il, tu veux ma mort, jeune fille ? – Non,
seigneur, répondit-elle. Mais il me serait très utile d’avoir la tête du chevalier
que tu as tué. Jusqu’à présent, aucun homme ne m’a refusé ce que je lui
demandais. Plaise à Dieu que tu ne sois pas le premier, car tu le regretterais !
– Mais, reprit le roi, j’ai une très grave blessure au bras qui me sert à
porter mon bouclier ! – Je le sais bien, dit la jeune fille, mais c’est justement
à cause de ta blessure que je te demande la tête du chevalier, car sans elle, tu
ne pourrais jamais être guéri ! – C’est bien, dit Arthur, je vais y aller. »
Il regarda vers la clairière et vit que les nouveaux
arrivants avaient complètement dépecé le corps du chevalier noir. C’était à qui
emporterait un pied, qui un bras, qui une cuisse, qui un poing, avant de partir
et de se disperser dans la forêt. Apercevant le dernier qui tenait la tête au
bout de sa lance, il se lança à sa poursuite. « Seigneur, dit-il, sur ce
que tu as de plus cher, je te demande de bien vouloir me donner la tête que tu
emportes au bout de ta lance ! » L’autre s’arrêta et lui répondit :
« Je te la donnerai bien volontiers, mais à une condition. – Laquelle ?
demanda le roi. – Il faut que tu me dises qui a tué le chevalier dont j’emporte
la tête. – Si tu le désires, voici : c’est le roi Arthur qui l’a tué !
– Où est donc ce roi Arthur ? – Cherche-le jusqu’à ce que tu le trouves. Je
t’ai dit la vérité, maintenant donne-moi la tête. » L’autre donna la tête
à Arthur et, sans plus attendre, celui-ci se dirigea vers la barrière. Il la
franchit sans encombre et se trouva ainsi en dehors de la clairière.
Mais le chevalier qui lui avait donné la tête sortit un cor
et se mit à en sonner. Au bruit du cor, ses compagnons qui étaient déjà dans la
forêt retournèrent sur leurs pas à vive allure. Ils lui demandèrent pourquoi il
avait sonné du cor. Il répondit : « C’est parce que ce chevalier
vient de me dire que le roi Arthur a tué le chevalier noir. Il faut que nous
nous lancions à sa poursuite. – Imbécile !
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