Les chevaliers de la table ronde
tu n’auras à redouter quelque chose de ma part. De
plus, je te fais don à tout jamais de cette forteresse et de toutes les terres
qui en dépendent. Fais-en ce que bon te semble. – Seigneur, répondit Gauvain, c’est
avec grande joie que j’accepte cette jeune fille et le domaine que tu m’offres.
Sois bien sûr que j’en ferai bon usage ! »
La nouvelle se répandit dans le pays qu’était venu un chevalier
qui voulait prendre la jeune fille et que l’épée avait à deux reprises atteint
sans lui faire de mal. Les gens du pays accoururent, pleins de joie, à la
forteresse, et la journée se passa en festins et réjouissances. Le vin y fut
distribué largement et les musiciens furent de la fête, les uns chantant de
beaux récits, les autres faisant danser la compagnie. Quant aux chevaliers, ils
jouaient au trictrac ou aux échecs, ou bien disputaient une partie de dés. Tout
le monde se divertit jusqu’au soir. Il y eut en abondance oiseaux rôtis et
fruits, et toutes sortes de bons vins.
Lorsqu’ils eurent agréablement dîné, ils allèrent rapidement
se coucher et ils conduisirent Gauvain et la jeune fille jusqu’à la chambre où
ils avaient passé la nuit précédente. L’hôte accompagna également les jeunes
gens. Puis, sans manifester la moindre opposition, il quitta la pièce et
referma la porte sur eux. Mais, cette nuit-là, il n’y eut point d’épée dégainée
hors de son fourreau ! Gauvain put satisfaire tous ses désirs, et l’histoire
raconte que la jeune fille ne s’en plaignit pas.
Gauvain demeura plusieurs semaines en cette forteresse perdue,
et cela dans la joie et l’allégresse. Puis il pensa que son séjour avait assez
duré, et qu’il devait aller se présenter à la cour du roi Arthur, son oncle. Il
alla trouver son hôte et lui demanda la permission de partir en compagnie de sa
fille. L’hôte lui accorda bien volontiers cette permission, d’autant plus qu’il
se sentait flatté que Gauvain emmenât sa fille chez le roi Arthur. Gauvain
reprit les armes avec lesquelles il était arrivé et partit en prenant congé de
son hôte, se félicitant de l’aventure qu’il avait vécue.
Mais dès qu’ils furent dehors, la jeune femme arrêta sa monture
et Gauvain lui en demanda la raison. « Seigneur, dit-elle, j’ai oublié
quelque chose de très important. Je quitterais ce pays avec beaucoup de regret
si je n’emmenais avec moi les lévriers que j’ai élevés et qui sont de bonne
race et très beaux. Il n’y en a pas de plus rapides et leur robe est plus
blanche que la plus blanche des fleurs. » Gauvain fit demi-tour et revint
dans la forteresse. L’hôte lui demanda pourquoi il revenait si vite. « Seigneur,
répondit-il, c’est parce que ta fille a oublié ses lévriers et qu’elle ne veut
pas partir sans eux. » L’hôte fit alors venir les chiens et les remit à
Gauvain. Celui-ci vint aussitôt rejoindre la jeune femme avec les lévriers. Puis
ils se mirent en route et traversèrent la forêt.
C’est alors qu’ils virent arriver un chevalier monté sur un
cheval bai, robuste et plein d’ardeur. L’homme chevauchait à vive allure et, quand
il fut parvenu à leur hauteur, il éperonna son cheval et, sans prononcer un mot,
se jeta entre Gauvain et la jeune femme dont il saisit la monture par les rênes.
Puis il fit aussitôt demi-tour et elle, sans qu’il lui eût demandé quoi que ce
fût, le suivit sans hésiter. Saisi de colère, Gauvain se précipita à la
poursuite du ravisseur. Mais il pensait qu’il n’avait d’autres armes que son
bouclier, sa lance et son épée tandis que l’autre était bien équipé, robuste, de
grande taille et plein d’agressivité. Néanmoins, Gauvain se jeta contre son
adversaire, la lance tendue, et s’écria : « Rends-moi mon amie ou
montre-moi ton courage ! Bien que je sois peu armé devant toi, je te
provoquerai au combat et tu seras obligé de me rendre raison de ton forfait ! »
L’inconnu s’arrêta, souleva sa visière et répondit :
« Je n’ai nulle envie de me battre avec toi, et si je me suis mal conduit,
ce que tu prétends, je ne suis pas prêt à t’en demander pardon. Cette femme a
été mienne bien avant ce jour et je ne fais que réclamer ce qui m’appartient. Et
si tu veux confirmation de ce que je te dis, je peux te proposer une solution. Laissons
cette femme sur ce chemin et allons-nous-en chacun de notre côté. Elle décidera
alors elle-même lequel d’entre nous
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