Les chevaliers de la table ronde
contenta de remercier le nouvel arrivant et elle alla réveiller Arthur. Le
roi reconnut évidemment son cheval et celui de Kaï, et il ne put, devant
Gwendolen, cacher plus longtemps la mésaventure qui lui était arrivée durant la
nuit. Enfin, il demanda au jeune homme d’où il venait et qui il était. « Je
viens de très loin afin d’être admis au nombre de tes compagnons, roi Arthur, et
je suis confus de t’avoir maltraité de la sorte cette nuit, car je ne savais
pas qui tu étais. Je me suis contenté de me défendre. – Tu as bien fait, dit
Arthur, et je dois reconnaître que ton habileté et ta vaillance me surprennent,
comme elles ont surpris mon frère Kaï, auquel tu t’es opposé immédiatement
après, lorsqu’il a voulu me venger. » On fit venir Kaï et celui-ci fit la
paix avec le jeune homme, avouant qu’il n’avait jamais été vaincu aussi vite
par un adversaire.
« Mais qui es-tu donc ? » demanda Arthur. Le
jeune chevalier sortit un rouleau de parchemin de son vêtement. « Voici, dit-il,
un acte qui te prouvera que je suis de ta famille, roi Arthur. Je suis en effet
Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie et de la reine Anna, ta propre sœur. Étant
ton neveu, je viens me remettre à toi et te demander de faire partie de tes
compagnons les plus fidèles pour la plus grande gloire du royaume. – C’est bien,
dit le roi. Sache, mon neveu, que tu es le bienvenu [49] . »
À ce moment, un échiquier de toute beauté apparut dans la
salle où se trouvait Arthur. D’une façon prodigieuse, cet échiquier entra par
la fenêtre ouverte, voleta à travers la pièce et ressortit pour disparaître. Tous
ceux qui étaient là furent stupéfaits d’une telle merveille et ne pouvaient
expliquer comment cela s’était produit. « Mon royaume ! s’écria
Arthur. Je ferai héritier de mon royaume celui qui me rapportera cet échiquier
magique ! » Mais ils étaient tous tellement ébahis que personne ne se
hasarda à répondre. À la fin, ce fut le jeune Gauvain qui parla : « Mon
oncle ! je suis prêt à tenter l’aventure ! – Va ! lui répondit
le roi, et que Dieu te protège de tous les maléfices que tu rencontreras
sûrement. »
Gauvain se précipita hors de la salle, et il eut le temps de
voir l’échiquier qui volait au-dessus des remparts. Son cheval, qu’on appelait
le Gringalet [50] , se trouvait là tout
sellé. Gauvain sauta sur le dos du cheval et, tandis qu’on baissait le
pont-levis, il s’élança dans la prairie qui s’étendait devant la forteresse, ne
perdant pas de vue l’échiquier qui tournoyait au-dessus des arbres de la forêt
toute proche.
Piquant des deux, Gauvain poursuivit l’échiquier durant une
bonne partie de la journée. Chaque fois qu’il voyait l’échiquier perdre de la
hauteur et s’égarer à travers les branchages, il accélérait l’allure du
Gringalet, mais c’était peine perdue, car lorsqu’il parvenait à proximité, l’échiquier
semblait bondir, comme projeté par une force invisible, et la course folle
reprenait, plus ardente que jamais. Le soir tombait quand Gauvain arriva au
pied d’une montagne très sombre. Sur les flancs de cette montagne s’ouvrait une
caverne qui paraissait profonde : l’échiquier y vola et disparut à l’intérieur,
tandis que les parois se refermaient avec un grand fracas. Mais Gauvain avait
eu le temps d’y pénétrer immédiatement après l’échiquier ; et il se
trouvait maintenant au cœur de la montagne, dans un souterrain profond et noir
où il ne pouvait rien distinguer.
Il mit pied à terre et, tenant son cheval par la bride, il
avança prudemment, à petits pas, tendant sa main pour palper la paroi et s’assurer
que le passage était suffisant pour lui et pour le Gringalet. Il aperçut alors
une lueur, assez loin devant lui. Il se dirigea vers elle d’un pas plus rapide
et plus assuré, parvenant bientôt dans un immense espace où brûlaient des feux
dont la fumée noircissait la voûte. Mais il n’y avait plus aucune trace de l’échiquier.
Gauvain se demandait ce qu’il allait bien pouvoir faire, quand
il entendit des rugissements. Il vit alors un horrible dragon se précipiter
vers lui, lançant des flammes par sa gueule béante. Se protégeant de la chaleur
grâce à son bouclier, il n’hésita pas à se lancer en avant, son épée tendue
devant lui. C’est ainsi qu’il accula le dragon à la paroi et fut assez heureux
pour enfoncer son épée jusqu’à
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