Les chevaliers de la table ronde
cher ! »
L’hôte revint alors de la cuisine et invita Gauvain à passer
à table. On fit demander l’eau [47] . Les serviteurs apportèrent
de nombreux plats de viande et de poisson, de venaison et d’oiseaux rôtis, avec
du pain très blanc. Gauvain mangea avec beaucoup de plaisir et but du très bon
vin qu’on lui versait dans une coupe en or. Puis, quand le repas fut terminé, l’hôte
déclara qu’il voulait aller faire une promenade dans les bois de son domaine et
invita Gauvain à rester près de la jeune fille et à se divertir avec elle. Il
lui enjoignit même de ne pas s’en aller tant qu’il ne serait pas revenu. Gauvain
comprit bien qu’il lui fallait demeurer là et assura son hôte qu’il n’avait
aucune envie de partir. Là-dessus, l’hôte monta en selle et s’éloigna.
Gauvain et la jeune fille passèrent tout l’après-midi à
deviser de choses et d’autres. Quand l’hôte revint, la nuit commençait à tomber.
Gauvain et la jeune fille, la main dans la main, se levèrent pour le saluer. Il
leur dit qu’il s’était hâté de revenir, car il avait eu peur que, s’il s’attardait,
Gauvain ne s’en allât. Puis l’hôte demanda aux serviteurs ce qu’il y aurait à
manger. « Il conviendrait, dit la jeune fille, de demander seulement des
fruits et du vin, car nous avons beaucoup mangé déjà aujourd’hui. » Il en
fut ainsi. On apporta la collation et les serviteurs versèrent abondamment
différentes sortes de vin. « Seigneur, dit l’hôte à Gauvain, réjouis-toi
et dis-toi bien que je me suis souvent ennuyé en recevant un invité qui ne s’amuse
pas et ne dit pas ce dont il a envie. – Seigneur, répondit Gauvain, sois sûr
que je me sens parfaitement à l’aise. »
Quand ils eurent fini de manger et de boire, l’hôte appela
ses serviteurs et leur ordonna de préparer les lits. « Je coucherai ici
même, dit-il, et ce chevalier couchera dans mon lit. Ne le faites pas trop
étroit car ma fille couchera avec lui. C’est, je pense, un bon chevalier, et
elle sera contente de lui. » Gauvain et la jeune fille remercièrent l’hôte
et firent semblant d’être très contents. Mais Gauvain se sentait fort mal à l’aise :
il craignait en effet un piège. Mais il ne pouvait refuser, car alors il aurait
contredit son hôte.
Celui-ci prit Gauvain par la main et le conduisit dans la
chambre. La jeune fille au teint si frais les suivit. La chambre était toute
parée de tentures, et douze cierges, disposés autour du lit, brûlaient en
répandant une vive clarté. Le lit était très beau et très riche, garni de draps
blancs et de somptueuses couvertures. « Seigneur, dit encore l’hôte, c’est
là que vous allez coucher tous les deux. Toi, ma fille, tu feras fermer les
portes, car je sais qu’en de telles circonstances on n’a pas besoin de témoins.
Je t’ordonne cependant de ne pas éteindre les cierges, car je veux qu’il puisse
te contempler dans toute ta beauté et que toi-même tu puisses voir combien il
est beau. » Sur ce, il quitta la chambre, et les portes furent fermées.
Gauvain s’était couché. La jeune fille s’approcha du lit et
y entra toute nue, sans se faire prier le moins du monde. Toute la nuit, elle fut
ainsi entre les bras de Gauvain. Il la couvrait de baisers et la serrait avec
tendresse. Mais il arriva un moment où son échauffement fut tel qu’il sentait
ne plus pouvoir résister. Quand elle comprit ce qu’il voulait, la jeune fille
murmura : « Seigneur, de grâce ! Même dans cette chambre, je
suis sous bonne garde ! » Gauvain regarda autour de lui, mais il ne
vit personne. « Qu’est-ce donc qui peut m’interdire de satisfaire le désir
que j’ai de toi ? demanda-t-il. – Vois-tu cette épée qui est suspendue
au-dessus du lit, dont les attaches sont d’argent, le pommeau et la garde d’or
fin ? – Oui, je la vois », répondit Gauvain.
La jeune fille lui dit alors : « Apprends que
cette épée de grande valeur a tué déjà de nombreux chevaliers, au moins une
vingtaine dans cette chambre. J’ignore pourquoi mon père agit ainsi, mais c’est
un fait : aucun chevalier qui entre ici n’en sort vivant. Mon père leur
réserve à tous un excellent accueil, comme à toi aujourd’hui, mais dès qu’il
peut leur reprocher la moindre faute, il les tue sans pitié. Sais-tu comment ?
Si, d’une manière ou d’une autre, le compagnon qui partage mon lit tente de me
pénétrer, l’épée tombe
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