Les chevaliers de la table ronde
et en compagnie de Merlin.
Le soir de leur premier jour de voyage, ils se trouvèrent devant
une forteresse, la plus puissante et la mieux bâtie qu’ils eussent jamais vue
auparavant. Elle était entourée de larges marais et munie d’une double muraille
crénelée. La tour en était si haute qu’à peine si, d’un trait d’arc, on en eût
atteint le sommet, et elle n’avait qu’une seule entrée à laquelle on accédait
en suivant une longue et étroite chaussée. Celle-ci aboutissait, du côté de la
terre ferme, à un petit pré au milieu duquel se dressait un immense pin. Sur
une des branches de ce pin, pendu à l’aide d’une chaîne d’argent, se trouvait
un cor d’ivoire plus blanc que neige nouvelle.
« Où sommes-nous donc ? demanda le roi Ban. – C’est
le Château des Mares, répondit Merlin. Ce domaine appartient à un chevalier
très brave et de grande renommée : c’est Agravadain, seigneur des Mares. –
Par ma foi, dit le roi Bohort, voilà un homme bien logé ! Je coucherais
volontiers chez lui ! – C’est facile, lui répondit Merlin, tu n’as qu’à
sonner de ce cor. »
Bohort saisit le cor pendu au pin et il y souffla comme un
homme qui a bonne haleine, si fort que, malgré la distance, le son courut sur l’eau
et, d’écho en écho, parvint dans la salle de la forteresse où se trouvait
Agravadain. Celui-ci, dès qu’il entendit le son du cor, réclama ses armes. Mais
pendant qu’on l’armait en hâte et qu’il enfourchait son beau destrier pommelé, trois
fois encore le son du cor parvint à ses oreilles. En effet, le roi Bohort
sonnait coup sur coup, craignant qu’on ne l’entendît pas dans la forteresse, tant
le marais était large. Impatienté, le seigneur des Mares se précipita sur la
chaussée, le bouclier au cou et la lance au poing. « Quelles gens êtes-vous ?
s’écria-t-il lorsqu’il aperçut la troupe des deux rois. – Seigneur, répondit le
roi Ban, nous sommes des chevaliers qui te demandons l’hospitalité pour la nuit !
– À qui êtes-vous donc ? – Nous tenons nos terres du roi Arthur. »
Agravadain baissa sa lance et cria joyeusement :
« Par Dieu, vous avez là un bon seigneur ! Il est également le mien.
Suivez-moi et soyez les bienvenus. » Ils s'en vinrent donc à la suite du
seigneur des Mares, l'un après l'autre, car la chaussée était si étroite qu'on
ne pouvait y chevaucher à deux de front. Leur hôte les conduisit à travers les
cours jusqu'à son logis, où des valets et des écuyers vinrent les aider à se désarmer.
Puis, prenant Ban et Bohort par la main, Agravadain les fit entrer dans une
salle basse. Trois jeunes filles leur mirent alors au cou des manteaux
d'écarlate fourrés d'hermine noire. Ces trois jeunes filles étaient fort belles
et gracieuses à voir, surtout celle qui était la fille d'Agravadain.
Merlin se sentit très triste, tout à coup. Il marmonna entre
ses dents : « Heureux celui qui coucherait avec une telle fille ! Si mon esprit
n'était pas retenu par celle que j'ai rencontrée dans la forêt, auprès de la
fontaine, je la tiendrais volontiers dans mes bras. Mais c'est impossible. Je
dois la donner au roi Ban, car le fils qui naîtra d'eux aura une belle destinée [64] .
» Et, sans plus attendre, il jeta un enchantement sur l'assistance : immédiatement,
le roi Ban et la fille d'Agravadain furent saisis d'un amour éperdu.
Pendant le souper, Agravadain plaça Ban et Bohort entre lui
et sa femme, qui était belle et de bon âge, car elle n'avait pas trente ans.
Les chevaliers de la suite s'assirent à d'autres tables. Quant à Merlin, sous
l'apparence d'un jeune homme d'une quinzaine d'années, aux cheveux blonds et aux
yeux verts, vêtu d'une cotte mi-partie de blanc et de vermeil, ceint d'une cordelière
de soie où pendait une aumônière d'or battu, il faisait le service du roi Ban.
Les gens de la forteresse le prenaient pour un valet de leurs hôtes, mais
ceux-ci pensaient qu'il était un serviteur d'Agravadain. Mais il était si beau
que les jeunes filles ne pouvaient s'empêcher de le regarder avec envie et
désir, sauf la fille d’Agravadain qui n’avait d’yeux que pour le roi Ban et
changeait de couleur à chaque instant : elle souhaitait en effet se
trouver toute nue entre les bras de Ban et, parfois, elle se demandait avec
angoisse comment une telle pensée pouvait lui venir. Quant à Ban, il désirait
éperdument la jeune fille, mais il n’oubliait pas qu’il
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