Les chevaliers de la table ronde
bien d’autres choses, car je réussis toujours ce qu’on me propose de
faire. – C’est vraiment un beau métier », dit la jeune fille, pleine d’admiration.
Mais, en même temps, elle pensait que ce jeune homme pouvait lui apprendre tout
ce qu’elle ne savait pas encore. « Je voudrais bien te croire, ajouta-t-elle.
Ne pourrais-tu pas me montrer un de ces tours dont tu te vantes, ou un autre, à
ton choix, pour me prouver que tu es celui que tu prétends être ? – Certes,
répondit Merlin, je le pourrais. Mais que me proposes-tu en échange ? »
La jeune fille réfléchit un instant. Il lui semblait qu’il
lui fallait être très prudente, car elle voyait dans ses yeux des lueurs qui l’inquiétaient
un peu. « Te suffirait-il, pour ta peine, que je fusse toujours ton amie, sans
mal ni vilenie ? – Ha ! jeune fille, répondit Merlin, tu me parais
douce et bien apprise. Pour toi, je ferai ce que je n’ai fait pour personne d’autre.
Je me contenterai de ton amitié sans demander plus. » Elle jura qu’elle
serait son amie sans mal ni vilenie tant qu’il plairait à Dieu de les garder en
vie l’un et l’autre.
Alors, Merlin ramassa une branche, en fit une baguette, et
traça sur le sol un grand cercle en prononçant des paroles qu’elle ne
comprenait pas. Puis il se rassit près de la fontaine. Au bout d’un moment, Viviane
vit sortir de la forêt une foule de dames et de chevaliers, tous richement
vêtus, ainsi que des jeunes filles et des écuyers, qui se tenaient par la main
et qui chantaient si doucement et si agréablement que c’était merveille de les
entendre. Ils vinrent se placer autour du cercle que Merlin avait tracé sur le
sol, puis des danseurs et des danseuses commencèrent à faire des rondes au son
des cornemuses et des tambours. Et, pendant le même temps, une forteresse s’était
dressée non loin de là, avec de beaux pavillons et un verger dont les fleurs et
les fruits répandaient toutes les bonnes odeurs de l’univers. Et c’est depuis
ce jour-là, en mémoire de ce qu’avait fait Merlin par ses enchantements, que ce
lieu est appelé Repaire de Liesse.
Viviane était éblouie par ce qu’elle voyait et entendait, et
son émerveillement était tel qu’elle ne trouvait pas un mot à dire. Ce qui l’ennuyait
un peu, c’est qu’elle ne parvenait pas à comprendre les paroles des chansons :
elles étaient dans une langue que, malgré sa science et ses patientes études, elle
ne pouvait reconnaître. Mais elle était cependant toute à sa joie, ne demandant
rien d’autre que de prendre plaisir au spectacle qui lui était ainsi offert. La
fête dura du matin jusqu’au milieu de l’après-midi. Quand les danses et les
chants furent terminés, les dames s’assirent dans l’herbe fraîche en prenant
soin de ne pas froisser leurs beaux habits, tandis que les écuyers et les
jeunes chevaliers s’en allaient jouter dans le verger.
« Que penses-tu de tout cela ? demanda Merlin. Tiendras-tu
ton serment de me donner ton amitié ? – Certes, répondit Viviane, je n’ai
qu’une parole. Mais il me semble que si tu m’as montré ton pouvoir, tu ne m’as
encore rien enseigné. – Je vais t’apprendre certains de mes tours, et tu
mettras cela par écrit, puisque tu es si habile dans les lettres. – Comment le
sais-tu ? demanda Viviane. – C’est mon maître qui me l’a révélé, répondit
Merlin, car il connaît aussi bien les pensées secrètes que les actes des
humains. – C’est donc un bien grand maître, dit la jeune fille, peux-tu me dire
son nom ? – C’est inutile, car il ne paraît devant personne, sauf devant
ses disciples. – Et toi, demanda Viviane, quel est ton nom ? – On m’appelle
Merlin, et je suis un familier du roi Arthur. »
Tandis qu’ils conversaient ainsi, les dames et les jeunes
filles s’en allaient en dansant vers la forêt, en compagnie de leurs chevaliers
et de leurs écuyers. À mesure que les uns et les autres arrivaient sous les
arbres, ils disparaissaient brusquement comme s’ils n’avaient jamais existé. À son
tour, la forteresse disparut, comme évanouie dans les airs. Seul le verger
demeura, parce que Viviane avait demandé à Merlin qu’il restât le témoignage
des merveilles qu’il avait accomplies pour gagner son amitié.
« À présent, dit Merlin, il faut que je parte. – Comment ?
Déjà ? Ne m’enseigneras-tu pas quelques-uns de tes jeux ? – Nous n’avons
guère le temps, et la
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