Les chevaliers de la table ronde
nuit va bientôt tomber. Je dois retourner auprès de mon
maître. Tel que je le connais, il s’impatientera et me traitera si durement que
je n’aurais plus l’occasion de revenir auprès de toi. – Mais, dit Viviane, tu m’avais
promis. » Merlin se mit à rire et dit : « Belle, j’ai promis, en
échange de ton amitié, de te montrer quelques-uns de mes jeux. Cela, je l’ai
fait, et tu ne peux me dire le contraire. Si tu désires que je t’enseigne
comment faire ces jeux, je veux que tu me donnes d’autres gages. – Lesquels ?
demanda Viviane. – Ce n’est pas difficile. En échange de ce que je t’apprendrai,
je veux que tu dépasses le stade de l’amitié, que tu me donnes ton amour sans
aucune restriction. »
Viviane s’abîma dans de profondes réflexions. Merlin lui
plaisait bien et elle se sentait très attirée par lui. Mais, d’une part, les
pouvoirs dont il disposait avaient tout pour provoquer son inquiétude : quel
usage en ferait-il à son encontre si elle avait des velléités de lui résister ?
Et, d’autre part, elle se disait qu’il ne serait guère sage d’accepter tout de
suite ce que demandait Merlin alors qu’elle pouvait profiter de son désir, qu’elle
jugeait intense, pour se faire dévoiler les grands secrets dont il était le
dépositaire. Elle avait donc tout à gagner à reculer le moment de son
acceptation, tout en cédant sur certains points sans importance, ce qui ne
ferait que renforcer son impatience. Elle dit à Merlin : « Je ferai
ta volonté quand tu m’auras enseigné tout ce que je voudrais savoir. »
Merlin savait bien où elle voulait en venir. Il soupira
longuement, puis il l’emmena dans une grande lande désolée. Là, il prit un
bâton fourchu, le donna à Viviane et lui enseigna ce qu’elle devait dire en
frappant le sol avec le bâton. Viviane prit donc le bâton, en frappa le sol en
prononçant les paroles que lui avait dites Merlin et, aussitôt, la roche qu’elle
avait frappée s’ouvrit, livrant passage à une eau abondante et tumultueuse qui
se mit à couler et, en quelques minutes, forma une rivière à cet endroit sec et
désertique. Viviane manifesta sa joie et jeta ses bras autour du cou de Merlin.
Mais quand il voulut la serrer de plus près, elle se déroba. « Plus tard, dit-elle,
quand tu m’auras appris d’autres secrets ! » Merlin fit semblant de n’être
pas déçu. Viviane avait pris un parchemin et venait d’écrire la formule qu’elle
avait employée pour faire surgir la rivière.
« C’est bien, dit Merlin, mais maintenant, il me faut
partir. » Il prit congé de Viviane bien tristement, mais celle-ci savait
qu’il reviendrait vers elle avant très peu de temps. Elle souriait en lui
souhaitant un voyage agréable. Quant à Merlin, il s’enfonça dans la forêt et se
dirigea tout droit vers Carahaise, où s’achevaient les préparatifs de départ de
celle qui allait devenir la reine Guenièvre [65] .
6
La Table Ronde
Merlin demeura encore trois jours en Carmélide, à la cour du
roi Léodagan. Lorsque vint le moment de s’en aller vers l’île de Bretagne, le
roi Léodagan pleura bien davantage sur le départ de ses compagnons que sur
celui de sa fille. Il les embrassa tous les uns après les autres, et sa fille
ensuite. Il envoya également au roi Arthur tout ce qu’il possédait de plus
précieux en objets d’art ou d’agrément. Les hommes chargés d’accompagner la
jeune Guenièvre prirent congé du roi et partirent avec les compagnons de la
Table Ronde. Ils débarquèrent dans l’île de Bretagne et apprirent que le roi
Arthur se trouvait à Carduel [66] . Ils firent donc route
vers cette ville, et lorsqu’ils furent sur le point d’arriver, Merlin fit
avertir le roi de la présence des compagnons en lui recommandant de venir à
leur rencontre et de leur réserver un accueil chaleureux.
Lorsque le roi apprit que les chevaliers de la Table Ronde venaient
à sa cour avec l’intention bien affirmée d’y demeurer, sa joie fut immense, car
c’était la chose au monde qu’il désirait le plus, afin de parfaire l’œuvre qu’avait
commencée son père, le roi Uther, avec l’aide de Merlin. Il sortit donc de
Carduel avec une foule de gens, alla à leur rencontre et les accueillit avec
tant de déférence, de joie et d’enthousiasme qu’ils se félicitèrent grandement
d’être venus. On décida alors de l’ordonnance des noces d’Arthur et de
Guenièvre, et on en fixa le
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