Les chevaliers de la table ronde
de sa fille pour le roi Arthur. Ainsi Guenièvre
deviendrait reine du royaume de Bretagne et de bien d’autres terres.
Le roi Léodagan fut très heureux de cette demande qui l’honorait
grandement, et il répondit aussitôt à Merlin : « Que Dieu protège le
roi Arthur à qui je n’aurais jamais osé demander une telle marque d’estime !
Je lui remettrai bien volontiers ma fille Guenièvre et ma personne, et il
pourra faire ce qu’il voudra de ce royaume. Rien ne m’aura causé plus de joie
que cette demande ! S’il le voulait, je lui donnerais ma terre, mais je
sais bien que, Dieu merci, il en a déjà tant qu’il n’a pas besoin de la mienne.
En revanche, je lui enverrai ce que j’aime par-dessus tout, cette Table Ronde
qui m’a été confiée au moment où le royaume cherchait un roi qui pût succéder à
Uther Pendragon. Hélas ! il y manque beaucoup de compagnons qui ont
disparu depuis que le roi Uther a quitté ce monde. Je les aurais bien remplacés
de ma propre autorité, mais un saint ermite que j’ai consulté m’en a dissuadé. Et
comme je lui demandais pourquoi je ne devais pas compléter les compagnons de la
Table Ronde, il m’a répondu que cette Table serait bientôt sous la garde d’un
homme de si haut mérite qu’il saurait mieux que moi en assurer la charge. C’est
pourquoi j’ai laissé la Table Ronde telle quelle, avec un nombre restreint de
compagnons, mais je sais maintenant que c’est à Arthur qu’incombera la charge
de la renouveler.
— C’est vrai, dit Merlin. Bientôt de nouveaux
compagnons viendront rejoindre ceux qui ont vu l’établissement de cette Table
par le roi Uther, car elle sera désormais sous la garde d’un homme qui lui
donnera plus de puissance et de force qu’elle n’en eut jamais et qui lui
conférera de son vivant un tel éclat, une telle réputation, que personne après
lui ne pourra plus assumer cette charge. » Le roi Léodagan fit alors venir
ceux qui demeuraient des premiers compagnons et leur dit, en présence de Merlin :
« Seigneurs, il manque beaucoup de chevaliers à votre compagnie, et, à mon
grand regret, je n’ai ni le rang ni l’autorité indispensables pour prendre sur
moi d’en nommer de nouveaux. Mais comme je vous aime tous autant que si vous
étiez mes propres fils, et comme je veux voir grandir votre gloire, je vais
vous envoyer à celui qui saura remplir ce rôle. Il le fera très volontiers, j’en
suis sûr, et il vous aimera comme un père aime ses fils. Il a avec lui tant d’hommes
de valeur, il en vient tant à sa cour de tous les coins du monde, qu’il pourra
facilement choisir les meilleurs d’entre eux pour en faire vos nouveaux
compagnons. Ainsi sera renouvelée cette Table Ronde en laquelle le roi Uther
mettait tant d’espoir.
— Mais, seigneur, répondirent-ils, quel est donc cet
homme si puissant que tu couvres de tant d’éloges ? – C’est le roi Arthur !
– Ha ! Dieu ! s’écrièrent-ils tous ensemble en tendant les mains vers
le ciel, béni sois-tu d’avoir songé à nous donner un tel père ! En vérité,
il sera pour nous un père parfait et qui veillera sur nous comme sur ses
propres fils. Nous ne saurions adresser d’autres prières à Dieu que de nous
confier à lui, et, s’il le veut, nous irons à sa cour sans tarder. Puisse Dieu
lui donner la puissance de veiller sur nous pour notre gloire et la sienne ! »
En écoutant ce discours, Merlin fut très satisfait. Et pendant qu’ils faisaient
tous leurs préparatifs de départ, Merlin s’en alla méditer dans la grande forêt
qui recouvrait l’intérieur de la Bretagne armorique [59] .
Cette forêt, qui avait nom Brocéliande [60] ,
était la plus vaste de toutes celles de la Gaule, car elle avait bien dix
lieues galloises de long et six ou sept de large. Au centre, était un lac qu’on
appelait le Lac de Diane. Cette Diane, qui fut reine de Sicile et qui régna au
temps de Virgile, le bon poète, était la femme qui aimait le plus au monde à
courir les bois, et elle chassait tout le jour. Aussi, les païens qui vivaient
en ce temps-là l’appelaient la Déesse des Bois, tant ils étaient fous et
mécréants [61] .
En cette forêt vivait un vavasseur nommé Dyonas, qui était
filleul de Diane. Celle-ci, avant de mourir, lui avait octroyé en don, au nom
du dieu de la lune et des étoiles, que sa première fille serait tant désirée
par le plus sage de tous les hommes que celui-ci lui serait soumis dès
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